Chroniques

par laurent bergnach

Walter Braunfels
Ulenspiegel | Till l’Espiègle

1 DVD Capriccio (2016)
C 9006
Ulenspiegel, un opéra de Walter Braunfels, filmé à Linz en 2014

Régulièrement, les parutions discographiques et vidéastiques permettent de redécouvrir l’œuvre signée Walter Braunfels (1882-1954), autrefois qualifiée de dégénérée, que d’aucuns disent à présent plus justement négligée (le musicographe André Hautot). Formé au piano dans sa ville natale Francfort, par sa mère puis par le Néerlandais James Kwast – un ancien élève de Carl Reinecke, dont la fille épouserait Hans Pfitzner –, Braunfels renonce bientôt à des études prometteuses (droit, économie) pour se perfectionner auprès de Teodor Leszetycki qui forma, dit-on, un millier de pianistes. Après Vienne, c’est à Munich qu’il se rend pour étudier la composition avec Ludwig Thuille et Felix Mottl, ce dernier s’avérant un fidèle serviteur wagnérien, mort en dirigeant Tristan und Isolde.

C’est avant d’être écarté de la scène, à l’arrivée des nazis au pouvoir, que le musicien à demi-juif propose le plus grand nombre de ses opéras, avant de tomber dans l’oubli : Prinzessin Brambilla (Princesse Brambilla, 1909) [lire notre critique du CD], Die Vögel (Les oiseaux, 1920) [lire nos chroniques du 19 janvier 1922 et du 31 octobre 2020], Don Gil von den Grünen Hosen (Don Gil du Pantalon vert, 1924), Der gläserne Berg (La montagne de verre, 1929) et Galathea (Galatée, 1930). Appartenant lui aussi à cette période féconde, Ulenspiegel est créé le 4 novembre 1913, au Königliche Hoftheaterde Stuttgart. Ses trois actes s’inspirent du livre qui a fondé la littérature francophone moderne en Belgique, La légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays flamand et ailleurs (1867). Charles de Coster (1827-1879), son auteur, redonne vie à un personnage de la littérature populaire du nord de l’Allemagne, apparu au début du XVIe siècle, Till l’Espiègle. Saltimbanque malicieux et farceur pourvu de deux objets symbolisant sagesse et comédie (une chouette, un miroir), il devient, sous une plume romantique, un héros de l'indépendance des Pays-Bas face à la domination catholique espagnole, durant la Guerre des Quatre-vingts ans (1568-1648).

Malheureusement disponible sans sous-titres français, cette captation rend compte de représentations coproduites par EntArteOpera et l’Internationales Brucknerfest Linz, en septembre 2014. Dans la ville d’Autriche qui donne son surnom à la trente-sixième symphonie de Mozart se trouve la Tabakfabrik, chef-d’œuvre de l’architecture industrielle. C’est donc sur un même niveau que l’on découvre l’Orchestre de chambre d’Israël, dirigé par Martin Sieghart, et les douze chanteurs de la production, lesquels incarnent plusieurs personnages, pour la plupart. Tandis que l’ennemi étend son pouvoir en Flandres, Ulenspiegel se moque successivement de la lâcheté de bourgeois froussards, des simagrées de pénitents en procession. Klas confie à Nele, amoureuse du jeune turbulent, les craintes qu’il a pour son fils, mais c’est finalement lui qui est envoyé au supplice. Apprenant cette nouvelle, Ulenspiegel rejoint la Révolte des Gueux et délaisse la fanfaronnade pour la vengeance. On doit à Werner Steinmetz l’arrangement d’une partition où s’entend l’influence de Wagner, mais aussi des échos de Mahler et de Weill.

Roland Schwab [lire nos chroniques de Mefistofele, Don Giovanni, Oberst Chabert, Ernani et Tristan und Isolde] met en scène les trois actes de l’ouvrage dans un univers urbain et chaotique (voiture, caravane, barres de fer et mitraillettes), dressant des barricades à l’aide de pneus et de palettes bois. Ulenspiegel s’y distingue par sa vêture de marginal conçue par Susanne Thomasberger, manteau rapiécé et gilet de cuir percé de pièces métalliques qui accentuent son côté saltimbanque, tsigane, voire hippie – la costumière signe aussi le décor. Dans le rôle-titre, Marc Horus impose un ténor fiable et puissant, parfois en voix de tête pour dire l’épuisement de la prison. Christa Ratzenböck (Nele), d’abord peu audible, convainc davantage après le temps de chauffe. Au chant légèrement fané d’Hans Peter Scheidegger [lire notre chronique de Boris Godounov], on préfère celui de Joachim Goltz (Prévôt), très impacté, égal sur toute la tessiture [lire notre chronique du fliegende Holländer]. On aime enfin les interventions saines d’Andreas Jankowitsch (Jost, Cordonnier), baryton-basse ferme et coloré [lire notre critique de Paradise reloaded], et celles de Tomas Kovacic (Maire, Premier Pénitent). Ils sont entourés de confrères défendant, eux aussi, plusieurs personnages – Martin Summer, Saeyoung Park, Dimitrij Leonov, Neven Crnić [lire notre critique de Salome], Mario Lerchenberger et László Kiss –, auxquels se mêlent des membres de l’EntArteOpera Choir.

LB