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Chroniques
Tristan Murail
Le partage des eaux – Terre d’ombre
Depuis 1991, la Maison de la radio et de la musique accueille en ses divers espaces Présences, le festival annuel de création, initialisé par feu Claude Samuel. Après trente-et-une éditions, dont certaines plus marquantes que d’autres – portraits de György Ligeti (1994), Luciano Berio (1997) ou Wolfgang Rihm (2019) –, c’est à célébrer la musique de Tristan Murail que le public était convié. Ainsi souhaitait-on un bel anniversaire au compositeur français, pour ses soixante-quinze ans ! Encore était-ce, bien sûr, l’occasion de faire entendre les représentants de ce mouvement qu’on appela spectral, né à l’aube des années soixante-dix, tout en poursuivant une heureuse politique de commandes à des musiciens jeunes et moins jeunes, comme en témoigne le feuilleton au fil duquel notre équipe chroniquait l’événement [lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10 et 11].
Dans la succession d’articles énoncée ci-avant manque le septième : ce n’est pas un oubli, mais au contraire la volonté de mettre en exergue une soirée dont le présent CD se fait l’écho. À la tête de l’Orchestre national de France, Alexandre Bloch, qui vient de quitter la direction de l’Orchestre national de Lille après sept saisons, jouait Le partage des eaux, une page de 1995 que Radio France avait alors commandée à Murail pour le trentième anniversaire de son Orchestre Philharmonique, formation qui la créa sous la battue de Marek Janowski le 14 novembre 1997, à la salle Pleyel, et que Pierre-André Valade enregistrait en décembre 2002 avec le BBC Symphony Orchestra (æon, 2015). Avec cet opus déjà ancien, nous abordons une inspiration qui commençait de s’échapper d’une facture plus radicale, ce dont le chef profite via une expressivité parfois quelque peu surlignée [lire notre chronique du 12 février 2022].
Le second opus du disque effectue un bond dans le temps, pour ce qui est de la date de la prise de son, tout en se révélant au contraire une avancée vers le plus récent de la production de Tristan Murail, puisque Terre d’ombre fut composé durant les années 2003 et 2004. À la tête du Südwestrundfunk Sinfonieorchester, Sylvain Cambreling lui donnait le jour à Berlin, le 20 avril 2004, dans le cadre du festival MaerzMusik. Quant à la création française, elle bénéficia du talent du très regretté Péter Eötvös – c’était le 1er décembre 2006 et nous y étions [lire notre chronique] – auquel on doit de fort belles lectures de la musique de Murail dont, moins loin dans le temps, la création hollandaise du Désenchantement du monde [lire notre chronique du 14 septembre 2012]. D’une durée similaire (un peu plus de vingt-deux minutes), Terre d’ombre affirme une relative austérité qui se déploie dans un climat qu’on pourrait dire revêche, d’autant plus que l’interprétation du maestro hongrois cultive un mystère certain. À l’âpreté du geste général se conjuguent une écriture subtile des timbres, magnifiée par la conception électronique, et une inventivité vigoureuse dont profitent – et font admirablement profiter ! – les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Poursuivant la collection Présences [lire notre critique du CD Kaija Saariaho], cette galette brève complètera favorablement, malgré les réserves évoquées quant à la lecture du Partage des eaux, l’approche suivie du travail du compositeur ou pourra constituer une première entrée dans son univers, à sans cesse approfondir.
BB