Chroniques

par françois-xavier ajavon

Simon Rattle et la Philharmonie de Berlin
Leonard Bernstein | Wonderful town

1 DVD EuroArts (2005)
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Simon Rattle et la Philharmonie de Berlin | Bernstein

Le décès récent du réalisateur Robert Wise, qui avait porté à l'écran le West Side Story de Leonard Bernstein (1918- 1990), a donné lieu à un phénomène désagréable dans les médias : on a passé de longs extraits des principales songs de l’ouvrage sans jamais mentionner le nom de leur célèbre compositeur : inculture journalistique ou victoire de l'image sur la partition ? Le DVD EuroArts de la comédie musicale Wonderful Town (1953) ne permet évidemment pas de trancher cette question, mais nous offre une occasion intéressante de profiter d'une partition sans le parasitage parfois inutile d'une mise en scène : en effet, à la tête du Berliner Philharmoniker, Simon Rattle nous propose une version de concert pleine de vitalité, de sobriété et d'humour.

Wonderful Town n'est pas l'œuvre scénique de Bernstein la mieux connue du grand public (derrière Candide, On the town, le dynamique Trouble in Tahiti, le brumeux A Quiet Place ou l'inévitable West Side Story), mais elle révèle le succès de la collaboration du compositeur avec le couple de librettistes Betty Comden et Adolph Green. Ces derniers avaient mis en scène pendant la guerre, dans On the town, une bande de joyeux marins bien décidés à profiter d'une permission à New York pour trouver l'âme sœur ; ils reprennent une thématique assez proche ici, où deux sœur fraîchement débarquées de leur Ohio natal tentent de posséder la toujours flamboyante New York.

Œuvre populaire formatée pour le Broadway des années cinquante, il ne faut pas s'attendre à une quelconque prise de risque. L'histoire est basique : Eileen, une fille volcanique et débridée, a pour seul objectif de séduire les hommes, alors que sa soeur Ruth, plus discrète et cérébrale, veut devenir journaliste ; elles seront prises dans un vortex de situations burlesques et sentimentales sans réel fil conducteur, si ce n'est l'amour commun que les deux femmes vont porter à Bob, un rédacteur en chef de la Presse Quotidienne Régionale – dirions-nous par nos contrées. Cette trame un peu lâche est surtout l'occasion pour Bernstein d'enchaîner des songs pleines de fraîcheur et d'une fausse insouciance, inspirées du jazz et du swing d'après-guerre.

Si Ohio, chanté par Ruth et Eileen nostalgiques de leur enfance, est l'un des plus beaux moments de la comédie musicale, c'est aussi l'un des plus sombres et des plus connus, mais il ne rend pas justice à l'atmosphère optimiste qui se dégage de l'ensemble de l'œuvre. Dans Christopher Street, on s'amusera de l'apologie touristique de New York – co-financée par un quelconque office du tourisme ? – où un guide présente à ses voyageurs tout le pittoresque de Greenwich Village, en se demandant avec malice : « Aujourd'hui, en 1935, qui sait quelles futurs stars vivent dans ces ruelles ? »…

On rira aux éclats face à l'humour ravageur de One hundred easy ways to lose a man où la plantureuse Kim Criswell interprète une Ruth débridée et pleine de malice, dans le rôle de la journaliste de presse féminine aigrie tâchant de transmettre la meilleure méthode pour se débarrasser des hommes. Le Wreck, footballeur universitaire boursier vaguement décérébré chanté par l'excellent Brent Barrett dans Pass the football, est assez irrésistible. La Quiet girl, appelée de ses vœux par le cynique Bob Baker incarné par un Thomas Hampson en grande forme, est parfaitement adorable, malgré un sentimentalisme un peu passé. On se délectera aussi du Darlin' Eileen, parodie de folksong irlandaise, où un chœur d'homme s'en donne à chœur joie pour séduire la belle. Dans Swing, Kim Criswell nous offre une nouvelle démonstration de son humour ravageur et de son sens de la musique américaine – qu'elle a dans le sang ! Le duo It's love entre Eileen et Bob constitue un sommet lyrique, et le dialogue entre Audra McDonald et Hampson est parfait.

Rattle domine de bout en bout cette œuvre délicieusement datée où tous les interprètes semblent s'amuser et prendre du plaisir à chaque titre. La réalisation télévisuelle de Andreas Morell, pour la ZDF, est sobre et captivante : l'exercice n'est pourtant pas simple de filmer une version de concert. On applaudit de toutes les mains la présence de sous-titres français et la pléthore de formats audio, mais on regrette l'absence de bonus (mais c'est une plaie généralisée dans le monde du DVD : on nous promet de la valeur ajoutée et finalement on se retrouve avec de vieilles bandes-annonces – comme c'est le cas ici).

FXA