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Chroniques
Sergeï Taneïev
Quintette en sol mineur Op.30 – Trio en ré majeur Op.22
Incontestablement l'un des plus grands érudits de la musique russe, Sergeï Ivanovitch Taneïev (1856-1915) fut un pianiste reconnu dès ses dix-huit ans, âge auquel il donna le Concerto Op.15 de Brahms sous la direction de Nikolaï Rubinstein (1875) – l'un de ses professeurs (piano) au jeune Conservatoire de Moscou – d'une façon qui lui valut l'admiration affirmée de Tchaïkovski – un autre de ses professeurs (composition et harmonie) de la même institution –, dont il créerait l'automne suivant le Concerto Op.23 n°1, puis le Concerto Op.44 n°2 (1881). Taneïev put nourrir son univers compositionnel de celui des maîtres fréquentés au Conservatoire de Moscou, de la musique populaire de son pays et, lors d'un séjour parisien qu'il vécut à vingt ans, de la rencontre avec les poètes, les peintres et les musiciens français, dont Duparc, Saint-Saëns et Fauré. C'est dans ces influences aussi diverses que complémentaires qu'il édifia rapidement un style personnel que quatre symphonies, deux cantates, plusieurs chœurs et concerts vocaux (un genre important de la tradition musicale russe), ainsi que de nombreux opus chambristes (rien moins que neuf quatuors à cordes) solidifièrent jusqu'à Oresteia, son opéra sur la tragédie des Atrides.
Le présent disque réunit cinq solistes exceptionnels – une fois de plus, Vadim Repin s'affirme comme l'un des meilleurs archets d'aujourd'hui – autour de deux œuvres majeures de Taneïev. En premier lieu le Quintette en sol mineur Op.30 pour deux violons, alto, violoncelle et piano, écrit en 1911 par un musicien maîtrisant son art et affirmant sa fascination pour le contrepoint, à contre-courant de son époque – André Lischke nous rappelle d'ailleurs qu'il a « insisté sur la nécessité pour la musique russe d'élaborer une technique d'écriture contrapuntique qui prendrait en compte toutes les traditions acquises en les adaptant à un matériau thématique national – rejoignant ainsi l'idée de Glinka » (in Histoire de la musique russe, Fayard, 2006).
Après une Introduzione très emphatiquement phrasée, le premier mouvement progresse jusqu'à un Adagio au lyrisme contenu où se remarque la ronde et tendre sonorité du piano – Mikhaïl Pletnev –, s'opposant idéalement aux incises des cordes, ici très présentes. Lorsque surviennent des accents plus véhéments, ils ne sont jamais secs ni brutaux, cette approche se révélant profonde et raffinée, réservant un certain suspens au développement, nourrissant des contrastes savamment dosés. Surgit alors un Scherzo bondissant qu'amorce un motif interrogatif du piano ; la danse qui suit s'avère d'une élégance à couper le souffle, le centre du mouvement se colorant d'une grâce toute fauréenne, dans une dynamique subtile, avant une fin plutôt virtuose. La grande phrase descendante, réminiscence stylistique d'un autre âge (peut-être Purcell ?...) sert de motif perpétuel à tout le Largo, motif sur lequel vient se détacher une mélodie plaintive, presque madrigalesque. Le quatrième mouvement s'inscrit plus dans son époque, trouvant en Pletnev (piano), Repin, Ilya Gringolts (violons), Nobuko Imai (alto) et Lynn Harrell (violoncelle) des serviteurs tant dévoués qu'inspirés.
D'une proportion comparable (chacun de ces opus occupe environ quarante minutes), le Trio en ré majeur Op.22 pour violon, violoncelle et piano, écrit en 1908, pourra peut-être paraître un rien plus cérébral, dans les premiers pas de son mouvement initial (Allegro). Pourtant, c'est un lyrisme plus généreux qui vient le conclure, avant un mordant Tema con variazoni plus brahmsien, ici somptueusement articulé par nos interprètes. Un méditatif Andante espressivo fait ensuite s'entrelacer les chants du violon de Repin et du violoncelle d’Harrell, laissant une place non négligeable au piano toujours moelleux de Pletnev, tandis que le Finale retrouve la fraîche effervescence du Scherzo de l'Opus 30.On l'aura compris : voilà un disque qui ne saurait décevoir le mélomane le plus exigeant !
BB