Recherche
Chroniques
Robert Schumann
Fantasiestücke – Kinderszenen – Humoreske
On connaissait déjà Philippe Cassard au disque, notamment par une éblouissante intégrale Debussy qui gagna il y a onze ans le Grand Prix de l'académie du disque. Son répertoire semble n'avoir pas de bornes : depuis Beethoven jusqu'à Dutilleux en passant par Kurtág et Schubert (les trois dernières sonates dans un précédent enregistrement pour Ambroisie en 2002). Il nous revient avec un récital Robert Schumann composé de trois recueils de pièces courtes : Fantasiestücke Op.12, Kinderszenen Op.15 et Humoreske Op.20. Malgré la concurrence de pianistes immenses, qui se sont déjà illustrés dans l'œuvre titanesque et parfois embrumée de Schumann (Horowitz, Lupu, Arrau, etc.), Cassard parvient à imposer l'originalité d'une lecture subtile, ample, lyrique mais retenue, émotive quoique réservée ; une lecture attentive à la complexité de l'univers schumannien, parfaitement bipolaire comme disent aujourd'hui les psychiatres – entre épanchement de joie et désespoir profond. D'autant plus que le thème de ce récital est l'enfance et, au delà, la nostalgie toujours douloureuse de cette jeunesse perdue.
Dans les Fantasiestücke Op.12, Schumann propose un aventure romantique autour de son personnage de Léandre en quête de sa bien aimée, contraint de traverser la mer à la nage pour la rejoindre et s'y noyant finalement. S'en détache le célébrissimeIn der Nacht, à la poésie douce et spirituelle, auquel Cassard rend justice avec toute son intelligence du romantisme allemand – dont les codes et intrigues peuvent sembler parfois un peu artificiels et extravagants à nos oreilles contemporaines. Mais c'est sans théâtralité excessive qu'il évolue dans ce répertoire musical, et explore aussi les Scènes d'enfants Op.15, succession de pièces courtes, thématiques (chacune reçoit un titre), racontant une histoire assez imprécise sur le quotidien d'un petit enfant, entre désir, frustration, et rêverie. Remy Stricker, dans son ouvrage Robert Schumann, le musicien de la folie (Gallimard), cité très largement dans le livret, rapporte une observation de Freud qui illustre bien l'ambiance nostalgique de cette pièce : « L'homme adulte se souvient du grand sérieux avec lequel il s'adonnait à ses jeux d'enfants, et il en vient à comparer ses occupations soi-disant graves à ces jeux infantiles : il s'affranchit alors de l'oppression par trop lourde de la vie […] ».
Le programme se termine par Grande Humoresque Op.20, magnifique enchaînement de pièces courtes qui conduisent l'auditeur des rires au larmes, et retour. On retrouve à nouveau l'aspect bipolaire de cette musique inquiète, ardente, désespérée et optimiste, jusqu'au délire. Dans cet emboîtement subtil de thèmes très variés, Cassard s'impose encore comme un schumannien de notre temps, et certainement l'un des meilleurs. Le livret quadrilingue laisse une impression mitigée : c'est une bonne idée que d'avoir cité des fragments de l'ouvrage de Remy Stricker, mais on aurait préféré quelques mots du pianiste lui-même sur son rapport aux œuvres concernées…
FXA