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Chroniques
Richard Strauss
Elektra | Électre
Le 16 février 1980, après cinq ans d'absence pour cause d'indélicatesse fiscale, Birgit Nilsson retrouve la scène du Met' pour quatre représentations d'Elektra. Reconnaissant la nature historique de cet événement, James Levine et la direction de la maison trouvèrent, en moins de dix jours, le financement nécessaire pour une captation télévisuelle. On l'aura compris : ce présent DVD est non seulement un joli hommage aux deux soprani vedettes récemment disparues (Nilsson et Leonie Rysanek), mais aussi un témoignage capital sur leur art. Et quel art !
Ceci dit, ne cherchons pas midi à quatorze heures dans la mise en place scolaire d'Herbert Graf, ni dans les costumes ou le décor lugubre mais imposant de Rudolf Heinrich. On a vu mieux et plus intéressant ailleurs. Et pourtant, qu'un tel classicisme est réjouissant avec ce huis clos charbonneux, propice à toutes les décadences.
À soixante-deux ans, Birgit Nilsson arpente la vaste scène new-yorkaise avec le même bonheur qu'à ses débuts, en pleine conscience de ses moyens à peine altérés – bien sûr l'aigu n'est plus aussi percutant dans sa projection, certaines notes sont sourdes, le vibrato gênant ça et là, mais le medium est d'une extraordinaire richesse –, avec cette compréhension incomparable du rôle, cette présence scénique unique sans surcharge mélodramatique (des attitudes ou gestes convenus peut-être, une danse finale simplifiée à l'extrême, mais aussi des silences dans le regard qui en disent long), véritable bloc de lave en fusion, qui confèrent l'authentique pureté de l'héroïne antique. L'un des plus sanguinaires personnages de la tragédie grecque fait se rejoindre ici ses dimensions mythologique et humaines.
Intense confrontation également avec la Klytämnestra de Mignon Dunn, belle, hautaine, d'une déchéance plus morale que physique, loin des matrones ménopausées à la Varnay donc possible rivale en tout, la névrose hantée, le rêve hantant. Leonie Rysanek, qui tint à assumer les représentations malgré quelques trente-neuf degrés de fièvre, chante une Chrysothemis craintive et exaltée dans ses bouffées de chaleur, hyper-lyrique dans ses montées hormonales. L'Orest de Donald McIntyre – Wotan en goguette en jupette à Mycènes ? – est plus que convaincant, malgré la brièveté de sa partie. Rien à jeter non plus dans les petits rôles (les servantes sont superlatives), tous fort bien tenus. Robert Nagy en Aegisth vaut son pesant de cacahuètes. Un luxe que seul le Met' pouvait s'offrir.
Il serait injuste de ne pas associer à ce triomphe (en bonus la demi-heure de rappels), à cette soirée historique, la rigueur de la direction de James Levine et la beauté, dans le murmure comme dans l'ivresse sonore, du Metropolitan Opera Orchestra porté à l'incandescence. Un
DVD plus qu'historique : un monument ; et à prix moyen, qui dit mieux ?
CC