Chroniques

par laurent bergnach

récital Liepājas Simfoniskais orķestris
Bartók – Křenek – Schönberg

1 CD Odradek (2016)
ODRCD 339
L'Orchestre symphonique de Liepāja joue Bartók, Křenek et Schönberg

Joueur de cor français avant d’aborder la direction, Atvars Lakstīgala commence, à partir de 2008, des collaborations régulières avec l’Opéra national de Lettonie (Latvijas Nacionālā Opera) et l’Orchestre symphonique de Liepāja (Liepājas Simfoniskais orķestris). Pour servir les deux concerti du présent programme, marqué par une nostalgie qui ne cesse de danser – « en équilibre entre la gaité et la douleur, le triomphe et la capitulation » –, Lakstīgala et sa formation sise sur les bords de la Baltique ont pour partenaire Pina Napolitano, artiste aux connaissances solides (slavistique, analyse musicale), connue pour avoir enregistré l’intégrale pour piano seul du créateur d’Erwartung.

D’abord dans l’héritage de Wagner et de Brahms, Arnold Schönberg (1874-1951) devient une figure de l’avant-garde, au début du XXe siècle, en développant l’usage du Sprechgesang (Pierrot lunaire Op.12, 1921) [lire notre chronique du 8 décembre 2007] et la technique dodécaphonique (Von Heute auf Morgen Op.32, 1930) [lire notre critique du DVD]. Composé après la fuite d’Europe (1933), entre juin et décembre 1942, son Concerto pour piano Op.42 est créé à New York le 6 février 1944, avec le fidèle Steuermann au clavier. Inventions et références (Mozart, Beethoven, Liszt) y cohabitent, et c’est bien un héritage romantique qui sonne ici, souple et soyeux, plutôt qu’une radicalité tabula rasa. Un piano élégamment phrasé, à la cadence très respirée, est mis en valeur par une prise de son exemplaire qui invite en salle.

Ce concerto est suivi par Begleitmusik zu einer Lichtspielszene Op.34 (Musique d’accompagnement pour une scène de film, 1930), sorte de libre variation sur une séquence imaginaire, conçue à la demande de l’éditeur Heinrichshofen. Schönberg construit ce mouvement symphonique expressionniste sur un scénario en trois temps : danger, angoisse, catastrophe. Là encore, on croisa des versions plus râpeuse, plus agressive.

Élève de Franz Schreker, le Viennois d’origine tchèque Ernst Křenek (1900-1990) connaît des mues successives, sous l’influence de ses aînés : néoromantisme (Schubert), néoclassicisme (Stravinsky), atonalité (Busoni), etc. [lire notre critique du CD] Mis à l’écart par le IIIe Reich, il s’installe aux États-Unis en 1938, pays où il va enseigner avec succès et dont il devient citoyen en 1945. Cette même année disparaît tragiquement son ami Anton von Webern à la mémoire duquel est dédié sa Symphonie Op.105 « Elégie » (1946), pour orchestre de cordes. Résolument sériel, l’ensemble est anxieux et tendu, dense et musclé, mais réserve des espaces à la tristesse, au recueillement et au lyrisme.

C’est aussi au pays d’Ives, Copland et Carter que l’exilé Béla Bartók (1881-1945) compose le Concerto pour piano en mi majeur n°3 Sz.119, un hommage à ses maîtres à destination de son épouse pianiste, Ditta Pásztory. Il meurt avant son achèvement. Grâce au travail de Tibor Serly, la création a lieu à Philadelphie, le 8 février 1946, par Eugene Ormandy et György Sándor. Si caractéristique des deux premiers concerti, le caractère percussif y laisse place à un lyrisme presque mélancolique et à une simplification de la texture pianistique. C’est totalement déçu que nous sortons de la présente écoute : l’Allegretto se désarticule d’être joué sans nerf, l’Adagio religioso manque de couleur, et l’Allegro vivace pèse au maximum au lieu de bondir et de s’embraser.

Le jeu des comparaisons s’impose : la version Napolitano/Lakstīgala dépasse les vingt-sept minutes quand celles d’Anda/Fricsay et d’Ashkenazy/Solti sont loin d’atteindre vingt-cinq minutes, et celle de Kocsis/Ferencsik renonce à en durer vingt-deux. Ce fabuleux pianiste [qui vient de nous quitter, le 6 novembre 2016, NDLR], n’est pas pour rien dans la flamboyance du deuxième mouvement et la fluidité miraculeusement debussyste du troisième. Décidément, Bartók doit s’approcher sans baguenauder.

LB