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Chroniques
récital Jonas Kaufmann
mélodies variées
Après sa précédente incursion dans le cross-over consacrée aux chansons viennoises et berlinoises de l’entre-deux-guerres, il était logique que, dans la lignée de ses grands prédécesseurs dont Fritz Wunderlich qu’il admire [lire notre critique du coffret archives], Jonas Kaufmann s’essaie à son tour à la mélodie italienne.
Les grands ténors de tous les temps s’y sont illustrés, avec des anthologies de référence montrant combien l’opéra et la variété pouvaient faire bon ménage. Enrico Caruso, Giuseppe di Stefano, Carlo Bergonzi [lire notre critique du coffret archives], Luciano Pavarotti, hier et aujourd’hui Roberto Alagna, par trois fois, nous ont laissé des témoignages particulièrement réussis.
Dolce Vita est donc une compilation de dix-huit mélodies italiennes de diverses origines : des Napolitaines traditionnelles d’Ernesto de Curtis ou de Leoncavallo et des chansons de variétés du siècle dernier. En fait, en y regardant de près, le ténorissime allemand rend, sans le dire, un hommage direct au grand Pavarotti qui a immortalisé la presque totalité de ces compositions, comme le Caruso de Lucio Dalla, Volare de Domenico Modugno ou le plus récent Il canto de Romano Musumarra que Pavarotti et Domingo se sont partagés, à l’égal des tubes napolitains.
La vision de Jonas Kaufmann est bien différente de celle de ses collègues. Le résultat est contrasté, par la nature même du timbre, somptueux mais sans le soleil de ses devanciers et sans leur prononciation idéale de l’Italien. Il endosse le rôle de latin lover mais ne parvient pas à oublier l’opéra, même le temps d’un album. Très souvent, il interprète ces mélodies comme du Verdi ou du Puccini, avec une emphase déclamatoire qui n’est pas de mise avec la simplicité de ces morceaux populaires. Cela fonctionne malgré tout avec Caruso et Parla più piano, célèbre thème deNino Rota pourThe Godfather (Francis Ford Coppola, 1972), qui ont un contexte dramatique et qu’il transfigure en airs d’opéra, mais pas pour Il canto où le ténorissime barytonne et en fait des tonnes véristes aux limites de la justesse. De plus, sous prétexte de passion dévorante, certains aigus sont poussés exagérément fortissimo et l’artiste n’y est vraiment pas à l’aise – en témoignent les très fréquentés Passione, Catari’ Catari’, Non ti scordar di me, Torna a Surriento parfois douloureux pour nos oreilles.
Au contraire, si le fameux Parlami d’amore Mariù est un peu opératique, le résultat est réussi, avec un aigu pianissimo de velours à faire pâmer sur le « Mariù » final. Il en va de même pour Voglio vivere così, Volare et Musica proibita qui sont fort attachants, même si pas très latins. Le chanteur est à son meilleur, il interprète à ravir cette musique surannée qui le fait terminer par des sifflotements charmants pour Volare. Après Andrea Bocelli, il ose un très personnel Con te partirò plutôt bien négocié, mais qui finit bizarrement mal, en une voix de tête inappropriée. En revanche, il aurait pu clore son récital sur autre chose que Il libro dell’amore de Zucchero, chanson assez sucrée et qui n’apporte rien à sa gloire, malgré des efforts louables.
Dirigé par Asher Fisch, l’Orchestra del Teatro Massimo di Palermo accompagne sans aider l’illustre ténor allemand. Le son est étrange et numérisé à outrance. Les mandolines semblent lointaines et artificielles, les percussions tonitruantes, les niveaux sonores des instruments réglés à la hache pour éviter de couvrir la voix.
Un album qui réjouira les inconditionnels de Kauffmann.
Les autres lui préfèreront Pavarotti ou Alagna.
MS