Recherche
Chroniques
récital Jessica Pratt
airs de folie extraits d’opéras de Bellini et de Donizetti
Quel plaisir d’entendre Jessica Pratt ! Belcantiste tout terrain, le soprano australien nous a valu des moments réellement mémorables… et ce n’est pas fini ! Avec l’excellent Riccardo Frizza, à la tête des Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino, l’artiste livre son enregistrement de plusieurs airs de folie puisés dans des ouvrages de Vincenzo Bellini et de Gaetano Donizetti, créés entre 1824 et 1842. Il est plutôt rare de pouvoir apprécier une cantatrice dans des œuvres très peu données à la scène, comme c’est le cas avec celle-ci. Ce courage à affronter aussi bien les grands tubes du répertoire que des partitions délaissées, ce qui demande énormément de travail, s’ajoute aux qualités exceptionnelles de Jessica Pratt. Notre confrère Gérard Corneloup est vraisemblablement le premier de notre équipe à l’avoir entendue ; c’était à l’Opéra de Toulon, dans I puritani (Bellini, 1835), il y a quinze ans [lire notre chronique du 26 avril 2009], un ouvrage qu’elle a chanté plusieurs fois depuis [lire nos chroniques du 5 novembre 2019 et du 1er avril 2023]. On retrouve les incroyables prouesses de son Elvira avec trois extraits de cette pièce où Adriano Gramigni et Jungmin Kim lui donnent la réplique en Riccardo et Giorgio [lire notre chronique de Simon Boccanegra, quant au premier], O rendetemi la speme, Qui la voce sua soave et Vien diletto è in ciel la lina. La souplesse de la voix et l’élégance du phrasé sont un vrai bonheur. Très expressif, l’accompagnement de l’orchestre n’est pas en reste. Du même illustre Sicilien, trois pages de La sonnambula (1831) : Coraggio… è salva!, puis Ah! non credea miratti et enfin Ah! non giunge uman pensiero. La générosité de la ligne de chant, se déroulant comme naturellement, est tout simplement sublime. Lui prêtent main forte le chœur florentin, soigneusement posé, que dirige Lorenzo Fratini [lire nos chroniques de Don Carlo et d’Il trittico], les deux chanteurs déjà cités (Gramigni en Rodolfo et Kim en Alessio), tandis que les rôles d’Elvino et de Teresa sont respectivement assurés par le ténor Dave Monaco et Ana Victória Pitts [sur le ténor, lire notre chronique de Marino Faliero ; lire celles de La bella addormentata nel bosco, Il matrimonio segreto, et du Bourgeois gentilhomme sur le contralto]. La précision du chef avance main dans la main avec l’efficacité technique impressionnante du soprano, dans une prestation qui tient du prodige, une nouvelle fois.
Cet album cent pour cent romantique italien fait la part belle à Donizetti que Jessica Pratt sert sans compter [lire nos chroniques de Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Rosmonda d’Inghilterra et Il castello di Kenilworth]. Ana Victória Pitts est aux côtés de sa Linda di Chamounix (1842) comme de son Emilia di Liverpool (1824), deux titres qu’on ne joue presque jamais [lire nos chroniques des productions de Daniel Schmid et de Jean-Philippe Delavault pour Linda]. La plénitude de la voix se révèle clairement dans Nel silenzio della sera quand on admire la nuance de No, non è ver… mentirono, servi d’un organe sûr. Du douzième des soixante-sept opéras que produit en trente-deux ans une carrière commencée avant la vingtaine, nous découvrons trois extraits dont la facture semble tout de même un peu rudimentaire. Ils ont l’avantage d’offrir à l’interprète l’occasion de briller par une certaine grandiloquence lyrique plus évidente que dans les autres œuvres du disque.
Enfin, cette grande et belle voix qui ne rougit pas dans Rossini [lire nos chroniques de Semiramide, Demetrio e Polibio et Adelaide di Borgogna] glace les sangs par des fulgurances hallucinées dans Lucia di Lammermoor (1935), folle entre les folles. Dans Il dolce suono, la subtilité de son jeu vocal est stupéfiante, tout comme la facilité des aigus. Quant au dialogue entre soprano et harmonica de verre (Ardon gli incensi), c’est juste divin ! On retrouve le baryton Jungmin Kim en Enrico irréprochable, les mesures de Raimondo revenant à la basse Adriano Gramigni. La fermeté du chœur comble les attentes (S’avanza Enrico). Finissons en beauté, avec un Spargi d’amaro pianto à tomber ! Un grand bravo à Jessica Pratt [lire nos chroniques de Rigoletto, Les contes d’Hoffmann et Francesca da Rimini]. Voilà un témoignage précieux de son immense talent.
KO