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Chroniques
récital Gilda Buttà et Victoria Terekiev
Malipiero – Martucci – Respighi
Gilda Buttà et Victoria Terekiev ont pour point commun la ville hébergeant la Scala et une carrière au piano. La première l’a étudié avec Guido Agostini, Rodolfo Caporali et Lucia Passaglia ; la seconde avec Stefka Mandrajieva, Eli Perrotta, mais encore Paul Badura-Skoda, Alfons Kontarsky et Tatiana Nikolaïeva. Les trois Italiens qu’elles jouent ici à quatre mains ont vécu le passage du XIXe au XXe siècle, époque de renouveau instrumental face à l’héritage vériste.
S’il donne à Milan son premier récital, à la fin de l’adolescence, c’est à Naples que Giuseppe Martucci (1856-1909) devient successivement apprenti pianiste, professeur puis directeur de conservatoire. Il n’a pas écrit d’opéra, mais en dirige volontiers, notamment ceux de Wagner qu’il contribue à faire connaître aux Méditerranéens. Verdi compte aussi beaucoup si l’on considère ses Divertissement pour flûte et piano (1869) et Fantaisie pour piano Op.1 (1871), inspiré par La forza del destino (1862). Dans ses pièces de jeunesses, découvrons également cet opus 8 enlevé, orné et fleuri, en première discographique : Pensieri sull’opera Un ballo in maschera (1873).
Élève du précédent, Ottorino Respighi (1879-1936) appartient à la fameuse Generazione dell’Ottanta (Génération 1880), désireuse de rendre à l’Italie sa gloire passée, à savoir retrouver la sève d’un Monteverdi plutôt que subir « les conséquences de l’ère du drame » (dixit Malipiero) cultivée par Mascagni et Zandonai. Avec Fontaines de Rome (1916), amorce d’un triptyque complété par Pins de Rome (1924) et Fêtes romaines (1929), le natif de Bologne participe au renouveau symphonique en célébrant quatre fontaines visitées le temps d’une journée, de l’aube au crépuscule. Sa clarté saine et vigoureuse, vantée par d’aucuns, est sublimée par la transcription pour quatre mains de Respighi lui-même. À part une deuxième partie à l’aigu péremptoire, l’expressivité reste toujours discrète. On apprécie la délicatesse très harpistique de certains passages, une diaphanéité étonnante sous deux dizaines de doigts ; on savoure des nuances raffinées, des miroitements suaves dont l’orchestre camouflait le cousinage français – Ravel, entre autres.
De l’auteur de Tre preludi su melodie gregoriane [lire notre critique du CD], nos deux interprètes donnent encore Six petites pièces pour enfants (1926) avec le caractère qui convient à chacune : moelleux (Romance), intrépide (Chant de chasse sicilien), tendre (Chanson arménienne), fiévreux (Noël, Noël !), austère (Cantilène écossaise) et stimulant (Petits Highlanders).
Ainsi que tant d’autres, Gian Francesco Malipiero (1882-1973) vit la Grande guerre comme unecontinuelle tragédie qui contribue à renouveler son art (in Charlotte Ginot-Slacik et Michela Niccolai, Musiques dans l’Italie fasciste, Fayard, 2019) [lire notre critique de l’ouvrage]. Concernant Armenia (1918), d’après des chants arméniens traduits symphoniquement, le duo d’auteures écrit : « la sympathie exprimée envers les souffrances d’un peuple martyr peut s’entendre au prisme d’une sensibilité accrue par les tensions nationalistes ». Durant moins de six minutes, une longue plainte hante la partition, éclairée par deux brèves incursions dansées.
À l’instar de Respighi, Malipiero est joué deux fois dans ce programme de cartes postales italiennes, ainsi qu’il est sous-titré. De cet « artiste d’une intransigeance si inflexible qu’elle pouvait parfois sembler cruelle » (dixit son confrère Ildebrando Pizzetti), écoutons encore Pause del silenzio, sept expressions symphoniques (1918), une pièce qui, comme la précédente, fut transcrite par son auteur et demeurait inédite au disque. Là encore, une longue déambulation s’installe, douce-amère, dépouillée voire égarée, que viennent bousculer trois courts épisodes bondissants, mais chacun toujours plus long que le précédent. L’influence de Stravinsky est flagrante dans ces reliefs quasi belliqueux.
LB