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Chroniques
récital Ensemble Gilles Binchois
motets, chansons et estampies du XIIIe siècle
En ce milieu de XIIIe siècle, une famille royale de plus en plus présente et une université en plein développement font de Paris un attrait pour les artistes et les lettrés, mais aussi les jeunes escholiers à la recherche d'un enseignement de qualité. Depuis un siècle, celui de la musique fait qu'elle prend de plus en plus de place dans la vie sociale parisienne. Ce n'est plus seulement les musiciens de métiers (clercs, jongleurs) qui animent les réjouissances publiques, mais aussi les bourgeois. Dans les cours, hors des périodes de fêtes, quand les ménestrels sont sur les routes, on peut désormais faire appel à des chanteurs domestiques qui se tiennent à disposition pour des concerts impromptus. La diversité est grande, que ce soit des publics, des formes musicales ou des compositeurs. Le cantus coronatus, par exemple, est généralement composé par des rois et des nobles pour un public royal et princier.
De ma dame souvenir et Dou tres douz non a la Virge Marie (plages 3 et 8) sont deux cantus de Thibault (1201-1253), comte de Champagne et de Brie, futur Roi de Navarre. La femme divine ou terrestre, comme souvent, est au cœur de ces évocations. Ils sont ici donnés avec une plénitude appréciable. Parmi les plus connus et les plus prolifiques, Gace Brulé est présent jusque dans certaines œuvres littéraires qui citent ses compositions (Le Roman de la Rose, De vulgari eloquentia de Dante, etc.). Il a adapté la poésie et la musique des troubadours au monde des trouvères qui est le sien, avec une prédilection pour le sujet amoureux, comme dans le beau et long Biaus m'est este quant retentit la bruille (plage 24) qui traite de la souffrance d'aimer sans retour. Ce passage est très différent de l'ensemble du disque : grave et gracieux, c'est presque un monodrame en soi, fort bellement servi par la grande égalité de la voix de Brigitte Lesne. On retiendra également le très expressif Douce dame, grez et graces vos rent (plage 20), développé comme un conte infiniment raffiné.
Un autre trouvère, Gillebert de Berneville, profite sans doute de cet héritage quand il chante qu'Amour enseigne et aprent... Mais la majorité des motets, chansons et estampies (nom provençal donné à une composition musicale, inspiré par des rythmes de danse) de ce disque sont l'œuvre d'anonymes.
Le motet, à la composition qu'on disait trop subtile pour le peuple, est le genre dominant à Paris autour de 1230. Certains sont d'inspiration religieuse (Ave deitatis, Ave Virgo regia, etc.), d'autre de nature méditative ou mélancolique (Cil qui aime), même s'ils peuvent avoir une apparence ludique ou gaie (Trois serors). On y entend la plainte de la femme punie par son mari ou l'horreur/jalousie qu'inspire l'amour grossier d'un berger frivole qui chante le moment passé nu entre les bras de sa maîtresse...
Il n'y a pas de certitude sur la façon d'utiliser les instruments au Moyen Âge ; leur richesse et variété sont en revanche avérées. Les instruments pouvaient accompagner les motets et les chansons, et remplacer parfois une, plusieurs ou la totalité des voix. L'Ensemble Gilles Binchois, sous la direction de Dominique Vellard, outre de la voix use avec talent de flûtes à bec et de percussions, mais aussi de la harpe, de la cornemuse, de la chalemie, de la traversaine, de la guiterne, de la vièle et du rebec. Cet enregistrement est la réédition d'une gravure de 1992 qui continue de faire autorité, invitant l'auditeur à une véritable initiation.
AB