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Chroniques
récital de l’Ensemble ZENE
Béla Bartók – Zoltán Kodály – György Ligeti
Réussite totale que cet album de l’Ensemble ZENE ! Créée en 2014 par Bruno Kele-Baujard, cette formation chorale et instrumentale, établie en Franche-Comté, s’est lancée dans le répertoire hongrois… ce qui n’a rien d’évident, on le sait. D’ailleurs, le chef de chœur le précise dans la notice de cet enregistrement réalisé à Paris, à l’automne 2022 (Salle Colonne) : « La langue et la culture sont autant d’obstacles qui empêchent les ensembles non magyarophones detenter l’expérience ». Sa culture franco-hongroise, mais encore un éveil grâce à la fréquentation des concerts en compagnie de Judit Kele, sa tante, dont on salua le talent dans ces colonnes [lire notre critique du DVD regroupant ses documentaires La septième porte et L’homme allumette], une formation précoce auprès de grandes personnalités musicales telles Márta et György Kurtág ou Péter Eötvös, approfondie avec Helmuth Rilling et Eötvös, à nouveau, sans oublier « les berceuses que ma mère me chantait enfant », semblent l’avoir invité avec bonheur à risquer le coup… un coup qui porte !
Bien que s’orientant principalement vers l’interprétation des musiques anciennes, ZENE ne se spécialise pas de manière obtuse, puisqu’explorant les cantates luthériennes de l’Allemagne baroque et les madrigaux de Gesualdo ou de Monteverdi il donne aussi des œuvres de Brahms. Quant à la musique hongroise, l’ensemble commence à la visiter en 2019 avec des pièces du XVIIe siècle signées János Kájoni (autrement dit Ioan Caianu ou Johannes Caioni) ou Mátyás Seregély. Quant au présent disque, c’est à la fois dans le Budapest de la première moitié du siècle dernier puis vers l’envol ligétien d’après l’insurrection de 1956 qu’il nous transporte.
Béla Bartók et Zoltán Kodály en sont les principaux personnages. Quatre vieilles chansons paysannes hongroises ouvre le florilège en 1903, par les villages. Puis c’est déjà l’entre-deux-guerres, avec des opus écrits en 1925 et 1937. Errance dont la facture avance vers des temps nouveaux sans se déraciner, puis Chagrin, méditatif et douloureux. Dans l’ordre de la gravure, ces pièces de Bartók sont précédées de trois pages de Kodály : La Tzigane mange du fromage, cinq Scènes de Mátra, enfin l’heureux Chant du soir. György Ligeti fait son entrée dans le récital avec Solitude, conçu dans les ruines à l’âge de vingt-trois ans, juste après la Seconde Guerre mondiale : un autre temps se signale dans certains frôlements de la dissonance. Dame Pápai, né sept ans après, conjugue des tableaux en accusant un peu plus l’audace du compositeur.
Un an avant la Révolution et sa répression par les chars soviétiques, Ligeti affirma sa modernité dans le couple La nuit – Le matin, au seuil d’une autre ère. Voici enfin 1966 : le musicien a quitté la Hongrie et vit depuis sept ans à Vienne. Et c’est quelques mois avant d’obtenir la nationalité autrichienne qu’il écrit Lux aeterna où s’affirme désormais l’inscription très nette dans sa contemporanéité. À cette galette hardie, notre équipe est fière de décerner une A! – le deuxième et dernier de cette année 2024 [lire notre critique des Bienveillantes] –, qui salue autant la qualité musicale de la proposition, la belle initiative et une réalisation technique fort probante (Aurélien Bourgois : prise de son, montage et mastering). Bravo à tous !
HK