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Chroniques
récital Christina Ortiz
Fernandez – Guarnieri – Nepomuceno – Vianna – Villa-Lobos
Si la tradition musicale du Brésil n'est plus à prouver, il faut attendre les trois premières décennies du XIXe siècle pour que musique populaire et musique savante commencent à fusionner et donnent naissance à un style unique qui fait tout l'intérêt de la musique des rives de l'Amazone. La pianiste brésilienne Cristina Ortiz nous offre un parcours à travers des œuvres gorgées d'âme et de sève. Ce programme est un retour vers des pièces et des compositeurs qui ont profondément marqué son enfance. Ce regard sur le passé est d'autant plus émotionnel que l'artiste n'avait plus pratiqué ces partitions depuis de nombreuses années. Le cinq centième anniversaire de la découverte du Brésil lui fournit l'occasion de ce voyage introspectif et sensoriel.
Une visite du Brésil musical ne peut se passer sans Heitor Villa-Lobos (1887-1959) et Camargo Mozart Guarnieri (1907-1993). De l'Indien blanc, la pianiste nous propose A lenda do Caboclo (Légende du métis, 1920), et Valsa da Dor (Valse de douleur, 1932), deux petites œuvres raffinées et stylées à l'image de ce compositeur inclassable. Moins connu en Europe, Guarnieri est l'un des piliers de la musique brésilienne du vingtième siècle. Fils d'un immigré sicilien qui donna à ses enfants le nom de grands compositeurs, Guarnieri arrive à marier, avec un talent tout particulier, le folklore traditionnel et le modernisme musical, qu'il soit néo-classique ou sériel. La célèbre Dansa Brasileira (1932) reprend la rythmique déhanchée de la samba. Vers 1945, le compositeur s'oriente vers un nationalisme brésilien qui le pousse à s'émanciper des termes musicaux italiens pour puiser dans le vocabulaire portugais. Ainsi la Dansa Negra est indiquée Soturno (sombre), la structure rythmique restant complexe.
Alberto Nepomuceno (1864-1920) apparaît comme le fondateur de l'identité nationale de la musique brésilienne. Après des études musicales en Europe, l'artiste retourne au Brésil où il occupe différentes charges institutionnelles dont la présidence de l'Institut national de Musique. Prece (Prière, 1887) est une pièce apaisée et mélodique. Galhofeira (Pièce moqueuse) est extraite des Quatro Peças Lírícas (Quatre pièces lyriques) composée à Paris en 1894 ; cette courte partition fusionne deux styles brésiliens : le maxixe et le choros.
La plus grande partie de ce disque est consacrée aux compositeurs Oscar Lorenzo Fernandez (1897-1948) et Fructuoso Vianna (1896-1976). Fernandez, fondateur du Conservatoire de musique de Rio de Janeiro et de l'Académie de Musique Brésilienne, est l'auteur de Malazarte, le premier opéra nationaliste brésilien à avoir rencontré un certain succès. Les trois Suites brésiliennes proposées sur cet album furent écrites dans les années 1930. La rigueur de la forme épouse avec magie le folklore brésilien. Les trois Études en forme de sonatine (1929) se révèlent musicales et brillantes. L'autodidacte Vianna s'est contenté d'écrire des pièces pour piano ou des mélodies pour voix et piano. D'une hauteur d'inspiration et d'une maîtrise sidérante, ces partitions illustrent la phrase du compositeur : « le maximum avec le minimum ». Les neuf pièces sélectionnées par la pianiste sont de véritables merveilles qui comblent le cœur et l'esprit. Tout au long de ce parcours, Cristina Ortiz est la guide idéale : précise et musicale, elle sert comme nulle autre la musique de sa terre natale. Notons aussi que ce digipack est un beau produit au livret exhaustif et à la présentation soignée.
PJT