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Chroniques
Paul Hindemith
Das Marienleben Op.27 (Rainer Maria Rilke)
Le poète pragois Rainer Maria Rilke a trente-sept ans lorsqu’est publiée sa Marienleben, en 1912, un cycle de poèmes lyriques de langue allemande – la précision n’est pas inutile, puisqu’il s’exprima également en français – conçu lors d’un séjour à Duino, en surplomb du golfede Trieste. Une décennie s’écoule, et voilà qu’un jeune musicien de vingt-six ans se passionne pour cette Vie de Marie au point de s’en inspirer, soit de s’en saisir, jusqu’à présenter au public francfortois Das Marienleben Op.27 pour soprano et piano. Un quart de siècle plus tard, le compositeur hessois – il est désormais professeur dans le Connecticut où il s’est exilé en 1940, après un passage de près de deux ans en Suisse, pour fuir le régime nazi – révise la partition afin qu’elle entre en conformité avec les principes qui, entre-temps, dirent sa manière.
Née en Suisse, pays où Hindemith s’est définitivement installé en 1953, après l’épisode nord-américain, Yvonne Friedli s’est formée au chant à l’Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin. Tout en interprétant le répertoire, elle sert plus que volontiers la musique des XXe et XXIe siècles. Ainsi celles du Bavarois Heinrich Ernst Erwin Walther (1920-1995), de son compatriote suisse Alfred Felder (né en 1950) ou encore du Saxon Paul Heinz Dittrich (1930-2020). « O was muß es die Engel gekostet haben… » : ainsi débute ce cycle de quinze Lieder, par Geburt Mariä, naissance délicatement heureuse de la Vierge, que Rilke imagine savourée à l’avance par le frémissement des anges, transmis par Hindemith à travers une mélodie calme en quasi-barcarolle. Un balancement inquiet caractérise la Présentation de Marie au Temple (Die Darstellung Mariä im Tempel), « fillette parmi les femmes » qui se réjouit : ici, la voix gagne une couleur particulière, propre à traduire l’émoi du sujet pris dans l’épopée chrétienne qui ne se laisse point encore devinée. Et déjà, c’est l’Annonciation (Mariä Verkündigung), qui s’amuse des difficultés d’un ange à se déplacer jusqu’à cette presque-encore-enfant. La fraîcheur de l’accompagnement, sorte de petit drame à réciter, dessine la scène, sous les doigts de Constantin Alex, maintenant une nuance subtile à son approche. Puis ce sera la Visitation (Mariä Heimsuchung), amenée tout en douceur, dans une harmonie déjà devenue habituelle.
Ainsi va cette Vie de Marie, des soupçons de Joseph à la mort de l’héroïne, déclinée en trois commentaires, en passant par la naissance de l’Enfant et la fuite, puis des épisodes empruntant à la carrière du Christ lui-même (Noces de Cana, Crucifixion, Résurrection), le climat se noircissant progressivement à mesure que se précise l’aventure du Nouveau Testament. La désolation de Pietà, comme déposée sur un mauvais rêve de triste boîte à musique, laisse pantois – « Jetzt wird mein Elend voll… ». L’expressivité est au rendez-vous de ce voyage dans une modernité musicale contrariée qui longtemps fut délaissée – l’occasion d’entendre différemment la poésie de Rilke. À découvrir !
BB