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Chroniques
Pascal Dusapin
musique de chambre
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France (2007), sur les pas de Boulez qui fut le premier compositeur reçu dans l’établissement, Pascal Dusapin (né en 1955) explique qu’il a toujours aimé écrire une pièce en bordure d’une autre. Il précise : « c’est comme s’il s’agissait d’inventer les fissures, les interstices et les écarts d’où s’échapperont d’autres musiques. Beaucoup de mes pièces de musique de chambre ont ainsi été composées “entre”, ou plus exactement “d’entre” la matière même d’une autre plus importante. C’est au fond comme si composer relevait d’une écoute à l’intérieur d’“entre-chose” » (in Olga Garbuz, Pascal Dusapin – Mythe Algorithme Palimpseste, Aedam Musicae, 2017) [lire notre critique de l’ouvrage].
Parmi toutes les formations chambristes, Dusapin affectionne Accroche Note dont les membres fondateurs servent la création depuis plusieurs décennies [lire notre critique du CD]. De leur côté, Armand Angster et Françoise Kubler sont sensibles aux nombreuses qualités du compositeur (élégance, énergie, etc.) dont ils choisissent de jouer quatre pièces parmi les plus récentes, à l’exception du Trio Rombach (Strasbourg, 1998), dans sa version sans violon écrite à la demande du clarinettiste. Ce dernier s’entoure de Christophe Beau (violoncelle) et Wilhem Latchoumia (piano) pour deux mouvements fébriles, émaillés de sensualité et de mystère, encadrant un troisième assagi où le clavier s’obstine pourtant à inquiéter sans raison avouée. Le trio est dédié au Bulgare André Boucourechliev, ce qui explique quelques orientalismes.
On retrouve Angster et Latchoumia dans By the way (Strasbourg, 2014), cycle bref de cinq pages écrites en marge de l’opéra Penthesilea (2015), au gré de différents voyages européens (Berlin, Bruxelles, Munich, Paris, Salzbourg, Varsovie). La frontière est nette entre celles qui jubilent, espiègles et taquines, et d’autres plus discrètes, soucieuses d’intériorité.
Le pianiste reste en piste pour accompagner Françoise Kubler dans Wolken (Strasbourg, 2014), duo sur cinq extraits de Goethe (1749-1832). Inspiré par un ouvrage du Londonien Luke Howard (1772-1864), pionnier dans la description et la classification des nuages, le poète célèbre ceux-ci dans des poèmes portant leur nom : Stratus, Cumulus, Cirrus et Nimbus. En conclusion, Dusapin y adjoint un fragment de Nausikaa, une tragédie inachevée de Goethe – Ulysse y compromet le rôle-titre, comme Faust souille Marguerite – dont l’intéresse une référence à la luminosité blanche (Ein weisser Glanz…). Caresse et attendrissement dominent l’opus, doté d’un cœur plus expressif.
« Qu’est-ce que je vais chercher chez Beckett qui m’intéresse pour ma musique ? » (ibid.), s’interroge-t-il au moment de concevoir son cinquième quatuor (2005), empruntant son sous-titre à Mercier et Camier (1946), premier roman écrit directement en français du dramaturge, après avoir déjà nommé Watt (1995) une œuvre pour trombone solo et orchestre [lire notre critique du CD]. En 2007, il envisage de composer un petit cycle à partir d’extraits d’Echo’s Bones, écrit vers 1933. Mais face au refus de l’ayant-droit, le musicien réécrit sa partition à l’aide de trois élisabéthains (John Donne, William Shakespeare, Ben Jonson) et de deux romantiques (John Clare, William Blake) appréciés par l’Irlandais. Armand Angster rejoint le duo précédent pour Beckett’s Bones (Venise, 2016) globalement tendre, sinon nostalgique, à l’exception d’une pièce fort exacerbée (Proverbs of Hell).
LB