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Chroniques
Ottorino Respighi
Christus
Si le public connaît Ottorino Respighi pour son cycle romain de poèmes symphoniques (Fontane di Roma, Pini di Roma, Feste romane), voire pour la Suite Gli Uccelli ou encore le Trittico botticelliano, il sera surpris à la découverte de la vaste cantate biblique en deux partie, Christus, gravée pour la première fois par le label suisse Claves (distribué par Intégral). Elle est l'œuvre d'un jeune homme de dix-huit ans, alors en troisième année de classe de composition au Conservatoire de Bologne. Souvent, la distance est grande entre ce genre d'essais et les œuvres de la maturité d'un musicien ; si, bien sûr, l'on reste loin des travaux à venir, le programme en semble déjà donné par cette étonnante cantate qui fait montre d'une maîtrise extraordinaire de l'orchestre.
Par la suite, Respighi ira étudier en Allemagne et à Saint-Pétersbourg auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov : il est de fait convenu de reconnaître dans son œuvre les influences de cet apprentissage ; mais – ô surprise ! – Christus, avant la conception de laquelle le compositeur n'a pas du tout fréquenté les écoles précitées, sonne, à bien des égards, wagnérien dans la thématique instrumentale et russe pour ce qui est du traitement des voix et de certains motifs de leur accompagnement. S'il était convenu de considérer l'influence de ses maîtres comme décisive, cet enregistrement permettra de réviser cette vue de l'esprit un peu rapide, et d'établir que les périodes allemande et russe n'ont su que conforter le jeune créateur dans ses élans personnels de symphoniste, justifiant ses aspirations profondes à ses propres yeux, d'une certaine manière.
Par ailleurs, nous sommes en 1898-99 et, tel qu'on l'entendra aisément, une certaine couleur dramatique bien de son époque habite cette page. Un rien d'opéra vient donc assaisonner les interventions chantées. Mêlant des textes tirés des Évangiles selon Matthieu et Luc et de l'hymne Gloria laus, cette cantate (chantée en latin), pour en suivre la chronologie événementielle, n'est pas une véritable Passion. Sa structure est construite par un jeu d'une logique symphonique, et la dramatisation des personnages comme du narrateur (qui ici ne préserve rien de la neutralité qu'on lui demande d'habitude) réside dans certains accents et dans le traitement orchestral lui-même.
Pour cette première – Christus n'avait jamais été exécuté jusqu'à présent, pas même du vivant de son auteur –, Saint Matthieu est le ténor Carlo Gaifa, un artiste vaillant au timbre d'une appréciable clarté, tout ferveur et héroïsme, au service d'une partie qui ne partage rien avec le calme des évangélistes de Bach, l'on s'en doute, mais, au contraire, s'avère corsée. Le baryton Roland Hermann est un Christ assez inattendu, lui aussi : il affirme, proclame, souvent avec force, sans rien de retenu ou d'éthéré, avec un je-ne-sais-quoi du Jokaanan de Strauss (Salome), par exemple. La basse Gastone Sarti est un Judas moins heureux : la voix est souvent instable, certains sons incertains. Le Chœur de la Radiotélévision Suisse Italienne offre une interprétation exemplaire, et son Orchestre, efficacement dirigé par Marco Balderi, affiche une expressivité idéale.
HK