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Chroniques
Nikos Skalkottas
concerti
Grâce à ce fort bel enregistrement mené par Martyn Brabbins dont l’excellence n’est plus à démontrer, tant dans la musique d’aujourd’hui que dans le répertoire [lire nos chroniques de The Voynich Cipher Manuscript, Der Engel der Geschichte, Death in Venice, Siesta, L’enfant et les sortilèges, Cœur de chien, My letter to the world, Perséphone et Sunrise with sea monsters], le mélomane peut persévérer dans son exploration des œuvres de Nikos Skalkottas (1904-1949) dont nos colonnes présentèrent trois opus orchestraux confiés aux bons soins de Byron Fidetzis à la tête de l’Orchestre Philharmonia d’Athènes, ainsi qu’un florilège pianistique subtilement servi par Lorenda Ramou [lire nos critiques des SACD BIS 2434 et 2364]. À la tête du London Philharmonic Orchestra, le chef britannique défend habilement deux pages concertantes qui se suivent dans la production du compositeur grec. Violoniste lui-même, Skalkottas se lançait à l’âge de vingt-cinq ans dans l’écriture d’un concerto pour violon et piano à la facture sérielle affirmée, alors qu’il était encore l’élève d’Arnold Schönberg, à Berlin.
Après deux autres œuvres concertantes en 1930 et 1933 (l’une pour violon et piano et la suivante pour violoncelle et orchestre), le musicien prometteur dut rentrer au pays natal, le climat politique allemand se durcissant. Encore croyait-il pouvoir regagner bientôt la capitale de la modernité devenue celle du IIIe Reich : il n’en fut rien, bien sûr, le nazisme installant ses désastres pour douze années terribles. Aussi est-ce en Grèce qu’il écrivit un nouveau Concerto pour violon, avec orchestre celui-ci, commencé en 1937 et achevé en 1938, où il mit en pratique le complexe sérialisme fractal qu’il précisait alors, tel que succinctement exposé dans la notice du disque par le violoniste grec George Zacharias à qui revient ici la partie soliste. C’est en repoussant les limites du modèle schönbergien qu’il s’affranchissait de son maître par l’emploi simultané de plusieurs séries dodécaphoniques. Le lyrisme dru du premier mouvement, Molto appassionato, frappe par sa couleur clairement viennoise, son organisation plus radicale et une inventivité personnelle, tout en dédiant au violon un rôle vaillant et virtuose que Zacharias défend avec une vigueur certaine. Surprennent quelques allusions rythmiques à une musique plus légère sur lesquelles nul arrêt n’est toutefois effectué. La souplesse de l’Andante spirito médian trouve appui sur une fine orchestration des timbres, en sus du délicat travail harmonique. La quasi-valse du dernier mouvement, Allegro vivo vivacissimo, promène l’écoute du côté des deux opéras d’Alban Berg, puis précipite son matériau en un bref Presto final, très dense.
Deux autorités s’opposent quant à la datation du Concerto pour violon, alto et vents que nous découvrons dans une nouvelle édition critique établie par George Zacharias. Fut-il conçu de 1939 à 1940 ou plus tard, en 1942 ? Le mystère demeure, bien que le violoniste penche pour la première solution – d’une manière ou d’une autre, l’œuvre est contemporaine de l’invasion de la Grèce, soit de la campagne commencée par les troupes italiennes à l’automne 1940, soit de l’occupation allemande à partir du printemps suivant. L’Allegro semble s’ingénier à une danse mélodique, pour ainsi dire, à la métrique ternaire où s’invite peut-être le souffre musical d’un Kurt Weill, désormais parti rejoindre cette Amérique qui l’inspirait – l’impression est renforcée par l’usage des vents qui parfois confère à l’accompagnement un caractère de sifflement. Après une élégante double-cadence, l’Andantino est avancé dans une chromie oxydée par le savant usage des sourdines. La petite harmonie de la phalange londonienne en signe une lecture admirable. Au violon brillant de Zacharias répond l’alto obombré d’Alexandros Koustas. L’Allegro vivo rompt la gracieuse chaloupe mélodique, via une pulsation stricte, bientôt contrariée par un souvenir de bal qui n’aurait point dédaigné quelques musiques interdites. On goûte une gravure passionnante !
BB