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Chroniques
Modeste Moussorgski – Alexandre Scriabine
pièces pour piano
Vivant actuellement à New York mais diplômé du conservatoire de Bari (Italie), sa ville natale, Alessio Bax remporte de nombreux prix qui l’autorisent à multiplier les collaborations avec des orchestres anglais, écossais, américains, français, hongrois, russes et japonais, et donc avec de nombreux chefs tels Alsop, Nott, Rattle ou Temirkanov. Outre Beethoven, Mozart et Brahms, sa discographie chez Signum Classics révèle une large fréquentation du répertoire russe (Rachmaninov, Stravinsky) que conforte ce programme Scriabine et Moussorgski.
Modeste Moussorgski (1839-1881), l’aîné, connaît un destin tortu, passant de l’École de cavalerie au groupe des Cinq, de l’aisance financière à la contrainte salariale, de la tempérance à l’alcoolisme. Durant l’été 1867, séjournant chez son frère hors de Saint-Pétersbourg, le musicien s’attelle à Une nuit sur le Mont Chauve (titre posthume), un poème symphonique qui connait plusieurs versions depuis 1860. Moussorgski est enfin content de la dernière. Jamais jouée de son vivant, l’œuvre s’enfouit pendant plus d’un siècle sous l’habit signé Rimski-Korsakov (1886), confrère en charge d’éditer un camarade dont il s’est rapproché depuis 1866 [lire notre chronique du 26 janvier 2017]. Pour l’interpréter seul, Alessio Bax choisit une transcription de Constantin Chernov (1865-1937) qu’il adapte à son tour, avec couleur et fluidité.
En juin 1874, l’auteur de Boris Godounov entame une œuvre dédiée au critique d’art Vladimir Stassov : Tableaux d’une exposition. Il vient de visiter celle vouée au défunt Viktor Hartmann, peintre et architecte dont quatre cents travaux emplissent l’Académie des beaux-arts, en février 1874. Moussorgski choisit dessins et aquarelles qui évoquent les voyages de l’auteur (Pologne, France, Italie), en tirant une musique pour piano devenue des plus populaires grâce à son orchestration ravélienne (1922). Jamais fragile lorsqu’il s’agit d’être vif (Ballet des poussins…, Limoges…), on y apprécie Bax pour sa retenue qui crée du suspense, voire du mystère (Gnomus, Bydło, Catacombae).
Peu friand de musique vocale, d’orientalisme et de folklore, Alexandre Scriabine (1872-1915) affirme « une autre manière d’être russe », comme l’écrit André Lischke (in Histoire de la musique russe, Fayard, 2006) [lire notre critique de l’ouvrage]. Avec la Sonate Op.19 n°2 (1897) prend fin une période uniquement pianistique d’où naissent Étude en ut # mineur Op.2 n°1 (1889) et Prélude pour la main gauche Op.9 n°1 (1894), tous deux joués avec un sens admirable de la nuance.
En 1898, enseignant alors son instrument fétiche à Moscou, Scriabine achève la Sonate en fa # mineur Op.23 n°3. S’éloignant d’un romantisme lisztien, cette œuvre à programme (sur le thème des états d’âme) laisse percevoir une vision messianique qui va gagner en force par la suite – « n’est-il pas en train de perdre la raison avec ses obsessions érotico-mystiques ? » dirait d’ailleurs Rimski-Korsakov, ayant entendu Poème de l’extase (1908), de celui qu’il brossait comme « cabotin, artificiel et imbu de lui-même » (in Chronique de ma vie musicale, Fayard, 2008). On aime Drammatico pour sa brillance hiératique, son deuxième mouvement allègre sans être échevelé, un Andante d’une soie délicate ainsi qu’une conclusion où un feu amical se montre vivace sans être dévorant.
LB