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Chroniques
Marie Charpentier-Leroy
Aux sources de la chanson réaliste
Diplômée en chant lyrique (Paris) et professeure de diction lyrique française (Vienne), Marie Charpentier-Leroy défend un spectacle qui mêle cultures savante et populaire (mélodie, opérette, etc.). Aujourd’hui, inspirée par les approches sociologiques de Cécile Prévost-Thomas, Catherine Dutheil-Pessin ou Joëlle Deniot, notamment, elle revient aux origines de ce que l’on a coutume d’appeler la chanson réaliste, dont l’âge d’or couvre un peu plus d’un siècle (1840-1950) – sans oublier d’informer sur les droits des femmes (études, salaire, etc.), tout au long de la période évoquée.
L’essayiste s’attache particulièrement à restituer un contexte historique. Au milieu du XIXe siècle, une partie de la population paysanne fuit la misère qu’accentuent des récoltes gâchées par les parasites. Grâce à l’essor du chemin de fer, elle arrive en ville pour vendre sa force de travail dans des usines florissantes et s’installer dans des taudis insalubres et onéreux. Pauvreté et marginalité engendrent une nouvelle forme de chanson, la goualante, elle-même issue de sources orales qui peuvent remonter au Moyen Âge – la complainte, la romance et le vaudeville. Auréolé de pieux sentiments, le larmoyant y épouse une verdeur ironique qui prétend refléter le quotidien des plus misérables.
Privée du confort bourgeois des demeures haussmanniennes, cette nouvelle classe sociale développe une vie tournée vers l’extérieur. Ouvriers, petits artisans et commerçants migrent de la guinguette au café-concert, un lieu de détente à mi-chemin entre le cabaret – lieu chic des poètes et chansonniers – et le beuglant – lieu de prostitution souvent forcée. Parmi les nombreuses attractions proposées se trouve la chanteuse des rues en voie de professionnalisation et de spécialisation – notamment depuis la création de la Sacem (1851). On trouve ainsi la goualeuse (cruauté de l’existence, amours malheureuses), la pierreuse (milieu des filles de joies) et la diseuse qui, entre théâtre et chant, incarne des personnages plus nuancés.
S’attardant sur l’art d’Aristide Bruant, Eugénie Buffet, Yvette Guilbert et d’Édith Piaf, opposant la veine tragique de Damia à celle de Berthe Sylva, mélodramatique, Marie Charpentier-Leroy confirme que l’évolution puis le déclin de la chanson réaliste sont liés à l’apparition du music-hall, du poste de radio et de l’enregistrement. La compassion est toujours recherchée, certes, mais en visant l’auditeur universel, tant il est vrai que chacun s’identifie davantage à une amante abandonnée qu’à la fille-mère orpheline cognée par son souteneur parigot – un récit d’ailleurs plus proche de la fiction outrée que d’un témoignage véritable. Le temps de l’intime est venu : celui de l’aveu d’impuissance confié mezza voce, qui démode à jamais la diva du faubourg. Mais c’est une autre histoire…
LB