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Chroniques
Leonard Bernstein
Wonderful Town | Ville merveilleuse
Dans un article paru un an avant la création de l’opérette Candide (1956) [lire notre critique du CD], Leonard Bernstein écrit : « Gershwin était un compositeur de songs qui a évolué vers la musique sérieuse. Je suis un compositeur de musique sérieuse qui essaie d’être un auteur de songs ». Preuve en est qu’On the Town, sa toute première comédie musicale, donnée à Broadway (Adelphi Theater) entre 1944 et 1946 [lire notre chronique du 12 décembre 2008], est bientôt suivie par une deuxième, Wonderful Town, présentée au Winter Garden Theater du 25 février 1953 au 3 juillet 1954. Le livret s’inspire de brefs récits de l’écrivaine et journaliste Ruth McKenney (1911-1972), mélange de souvenirs ruraux et d’expériences citadines d’abord publiés dans The New Yorker avant d’être réunis en un volume : My Sister Eileen (1938). Celui-ci va inspirer plusieurs adaptations dont une pièce (1940) et un scénario (1942) éponymes signée Jerome Chodorov et Joseph Fields. Pour Bernstein, le duo revient encore à ce récit d’apprentissage que Betty Comden et Adolph Green émailleront de chansons.
Les sœurs Sherwood s’installent à New York au milieu des années trente, quittant avec tristesse l’Ohio… avant de s’en rappeler les sermons et ragots communautaires ! Forte de ses rubriques société dans le Colombus Globe, Ruth cherche à se faire un nom dans la ville qui ne dort jamais, enchaînant mauvaises rencontres et petits boulots honteux. De plus, mis à part son confrère Robert Baker, elle à « l’art de décourager les hommes ». À l’inverse, rêvant d’une vie d’artiste de scène, sa cadette Eileen ne cesse de repousser des mâles parmi lesquels seul le timide Frank Lippencott semble prêt à s’engager à long terme. Malgré toutes les invitations à repartir dans leur province – tant de talents furent gâchés dans la métropole, comme ce garçon qui se rêvait dans Rigoletto et a fini sur le marché, attirant le client vers ses poissons –, l’une et l’autre verront leurs problèmes résolus.
En janvier dernier, l’Opéra de Toulon proposait la création française de l’ouvrage – et sans traduction aucune, s’il vous plaît. En accord avec l’auteur de West Side Story (1957) qui « a toujours évolué dans son présent, y compris même avec une certaine urgence sociale », Olivier Bénézech se charge de la mise en scène [lire nos chroniques de Pelléas et Mélisande, La voix humaine, Amadis et Street Scene]. Ni thirties, ni fifties ici, mais un New York éternel et contemporain où sont évoquées les colères autour du Stonewall Inn (1969) et de l’élection de Trump (2016). Devant d’immenses vidéos en toile de fond (Gilles Papain), une foule de chanteurs, d’acteurs et de danseurs (Johan Nus), habillée par Frédéric Olivier, anime sans lourdeur un plateau que la scénographie laisse respirer, elle aussi (Luc Londiveau). Tout est fluide et alerte, et les personnages de plus en plus attachants au fil des deux heures que Larry Blank accompagne en fosse.
Quatre d’entre eux sortent du rang, ne serait-ce que par la distribution des songs. Fréquentant jazz et musical depuis l’adolescence, Jasmine Roy (Ruth) fait preuve d’un abattage qui va crescendo. Rafaëlle Cohen (Eileen) rappelle sans la singer la fragile Marylin Monroe, qui arrive toujours à se tirer d’un mauvais pas. D’une formation classique mettant en valeur son timbre chaleureux, Maxime de Toledo (Baker) ravit en intellectuel amoureux, tandis que Thomas Boutilier (Wreck, qui a gagné au football son surnom de Broyeur), incarne avec vaillance un ange gardien des deux sœurs, doublé d’un autre exemple de talent abîmé par le déracinement. Largement franco-nord-américaine, la distribution est complétée par d’autres habitués des univers mixtes : Dalia Constantin (Helen), Lauren Van Kempen (Violet), Alyssa Landry (Mrs Wade), Sinan Bertrand (Lippencott), Julien Salvia (Clark), Jacques Verzier (Appopolous), Scott Emerson (Valenti), Franck Lopez (Lonigan), une poignée de choristes maison et deux autres de danseurs.
LB