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Chroniques
Kaija Saariaho
œuvres variées
Depuis 1991, le festival Présences témoigne de la politique menée par Radio France en faveur de la création. En écho à celui-ci, une collection discographique voit le jour, rendant compte notamment des commandes passées par l’institution à des compositeurs. Les deux premiers volumes de cette collection mettent en lumière le travail de Tristan Murail et celui de Kaija Saariaho. Si l’auteur de Portulan [lire notre chronique du 27 juillet 2023] en fut l’invité en 2022, la plus Parisienne des Finlandaises, quant à elle, fut à l’honneur de l’édition 2017 de l’événement – édition à laquelle, malheureusement, notre média fut rejeté par l’agence de presse en charge du dossier.
Si la majorité des œuvres présentées appartiennent aux années dix de notre siècle, la plus ancienne date du précédent. C’est Château de l’âme (Salzbourg, 1996), un titre que la compositrice emprunte à sainte Thérèse d’Avila, comme elle l’explique dans Le passage des frontières, son recueil d’écrits incontournable (Éditions MF, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage]. L’œuvre pour soprano, chœur de femmes et orchestre est pétrie à partir de textes issus des traditions hindoues et de l’Égypte antique – mots qui célèbrent l’amour, servent à guérir les corps, etc. On entend ici le soprano ample et impacté de Faustine de Monès, dans un cycle qui alterne pages ciselées, sensuelles, et d’autres plus expressives [lire nos chroniques du 24 juin 2022, du 24 septembre 2023 et du 23 janvier 2024]. Huit membres du Chœur maison l’accompagnent. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est dirigé par Hannu Lintu, qui laisse place à Ernest Martínez Izquierdo dans l’œuvre suivante.
Grande lectrice de poésie depuis sa jeunesse, Saariaho reconnaît l’omniprésence des livres dans ses œuvres, confiant qu’une simple atmosphère a pu l’aider à poursuivre un travail de composition, même non chanté. Écrit pour orgue et orchestre, Maan varjot (Montréal, 2014) s’inspire d’une ode de Shelley dédiée à Keats, notamment pour son titre (« Heaven’s light forever shines, Earth’s shadows fly »). Si la musicienne a choisi le finnois pour traduire « ombres de la terre » [lire notre chronique du 19 juin 2014], c’est parce que l’orgue, après divers apprentissages (violon, piano, guitare), fut l’instrument de son adolescence, celui qui fut un refuge pour sa timidité autant qu’un révélateur de sa vocation. Deux mouvements intenses et énergiques – comme ils s’annoncent eux-mêmes –, riches en mystères et ruades, encadrent le plus paisibles des trois, sorte de rêverie obsessive, de douce décantation.
Kajia Saariaho a grandi près des forêts, et de nombreux textes de l’ouvrage précité évoquent son rapport à la nature (le bruit des feuilles mouillées, la lumière liée au rythme, etc.). Pour True Fire (Los Angeles, 2015) la musique émergea avant les paroles, et c’est à cette thématique récurrente – on pense à Nymphea reflection, Trois rivières, etc. – qu’elle revint pour choisir quels mots chanterait Gerald Finley, trouvés chez l’Étatsunien Ralph Waldo Emerson (1803-1882), l’Irlandais Seamus Heaney (1939-2013), le Palestinien Mahmoud Darwich (1941-2008) et dans des textes indiens traditionnels. En accord avec nombre de nuances à respecter, Davóne Tines offre un baryton plus souvent caressant que rude, sublimant plusieurs moments calmes, voire méditatifs [lire notre chronique d’Only the sound remains]. C’est appréciable, d’autant que le chanteur est très sollicité durant les six parties de l’opus. Olari Elts dirige l’Orchestre national de France.
Enfin, après avoir été le cadeau de mariage de la fille de son ami Anssi Karttunen en juillet 2015 [lire nos chroniques du 7 octobre 2004, du 10 avril 2011, des 10 mai et 22 juin 2012, du 18 avril 2013 et du 15 février 2024], Offrande est offert en création au public de Présences le 13 février 2017. Le violoncelliste retrouve sa place dans le duo avec orgue, ce dernier n’étant plus joué par Tuija Hakkila mais par Olivier Latry [lire nos chroniques de La Nativité du Seigneur et de la Symphonie Op.78 n°3]. On aime ce violoncelle au geste large qui se blottit dans les résonnances touffues de l’orgue, comme on a aimé les trois œuvres précédentes, typiques de l’art de la compositrice trop tôt disparue.
LB