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Chroniques
Joseph Jongen
pièces pour piano
Encouragé par un père ébéniste d’art sensible aux dons précoces de son enfant, Joseph Jongen (1873-1953) effectue ses études musicales au Conservatoire royal de Liège. Parmi ses professeurs, citons ceux qui furent successivement directeur de l’institution, entre 1872 et 1925 : Jean-Théodore Radoux (1835-1911), ancien élève d’Halévy (à Paris) et organisateur de concerts marquants dans l’établissement, ainsi que Sylvain Dupuis (1856-1931), connu pour ses opéras en dialecte liégeois. Comme Dupuis, Jongen remporte le Prix de Rome belge avec ses cantates, d’abord un Second Prix (Callirrhoé, 1895) puis le Premier (Comala, 1897). Une longue période de voyages européens s’ouvre à lui (1898-1902), incluant des rencontres avec Richard Strauss, Vincent d’Indy, etc. D’abord nommé enseignant dans sa ville natale – à l’aube des années passées en Angleterre durant la Grande Guerre –, il l’est ensuite au Conservatoire royal de Bruxelles dont il assume la direction de 1925 à 1939, date de sa retraite [lire nos critiques de Triptyque Op.103, Quatuor Op.23, Comala, Messe Op.130, Symphonie concertante Op.81, In memoriam et Pages intimes Op.55].
Selon Marc Vignal, qui signe la notice de cet enregistrement réalisé en février 2022 à Dunwich – une bourgade bien réelle du Suffolk… pas celle du Massachusetts, imaginée par Lovecraft –, les pièces pour piano de Jongen représentent un cinquième de sa production, dont près de deux tiers datent des trente dernières années. C’est à cette époque que voit le jour Treize Préludes Op.69, le 15 février 1923, sous les doigts de leur dédicataire, Émile Bosquet. Même si les influences de Fauré et de Ravel diminuent à l’approche de la maturité, on les y retrouve encore – harmonie mise à part, laquelle est souvent brisée. Plus généralement, les Français peuvent s’entendre, çà et là, au fil de la partition : Debussy symboliste, Chausson romantique, Caplet mélodramatique, etc. On les retrouve associés à nombre de préludes au titre révélateur (Inquiétude, Nostalgique, Tourments, Angoisse, Papillons noirs), dont l’inquiétante étrangeté, l’affliction auto-générée, voire la contemplation déliquescente sont générées par divers procédés récurrents : motif obstiné ou campanaire, répétition, fragmentation, etc. Pour ces moments-là, Ivan Ilić use d’une expressivité discrète et investie, à l’opposé, bien sûr, d’une page comme Airs de fête qui clôt le cycle, colorée comme du Chabrier, éclatante comme du Poulenc – un autre piano que le Steinway aurait pu augmenter la sensualité.
Ayant peut-être gardé des obligations de sa carrière l’habitude de composer principalement en été, c’est durant celui de 1940 – là encore une période d’exil imposée par la guerre, passée cette fois en France, dans l’Ariège – que Jongen entreprend les Vingt-quatre petits préludes dans tous les tons Op.116. Une première moitié est finie entre le 25 juillet et le 18 août, tandis que l’écriture de la seconde débute à la mi-juin suivante pour s’achever le 12 juillet 1941. L’âge du compositeur, la noirceur des temps expliquent sans doute un cycle de pièces excédant rarement deux minutes qui revisite l’histoire musicale à rebours. Les premiers de ces Petits préludes rendent un hommage appuyé à Fauré, sans même s’arrêter aux audaces de ses héritiers, Debussy et Ravel. Rapidement, on entend Schumann, et puis aussi les maîtres de la période baroque, Bach, Purcell et Scarlatti. À l’instar de l’auteur du Tombeau de Couperin, Jongen célèbre les danses de jadis (Pastorale, Rigaudon, Sarabande), ravivant une joie et une légèreté alors disparues. Pour sa part, l’auditeur s’ennuie dans cette seconde partie de programme, malgré le talent d’un pianiste familier d’univers multiples (Haydn, Reicha, Debussy, Feldman, etc.) [lire nos critiques des CD Heresy Record et Chandos].
LB