Chroniques

par marc develey

Johann Sebastian Bach
Sonates pour clavier et violon BWV 1014 à BWV 1019

2 CD Ambronay Éditions (2006)
AMY 009
Johann Sebastian Bach | Sonates pour clavier et violon

D'une écoute souvent exigeante, ces six Sonates BWV 1014 à BWV 1019 nous ont d'abord laissé perplexes. À mobiliser l'attention sur un son presque trop travaillé, elles nous ont considérablement agacés par ce que nous leurs attribuions d'un incompréhensible excès de préciosité. Cela dit, l'enregistrement recèle une tout autre intensité que ce que nous en avions saisi dans la frivolité de sa découverte première.

La Sonate en si mineur BWV 1014 n°1 peut servir d'exemple. Le phrasé ample du clavecin de Frédérick Haas installe l'Adagio initial dans une élégance prometteuse. L'articulation généreuse y explore les grâces d'un rubato qui n'affaiblit pas le tactus. Puis, en fonction de l'oreille qu'on y prêtera, l'entrée du violon de Mira Glodeanu pourra sembler geignarde ou d'une sensibilité subtile, dans une pâte qu'on pourrait dire asthmatique ou, plus justement croyons-nous désormais, tendrement méditative. La variété des timbres prime parfois sur la justesse et paraît évoquer quelque voix déjà vieillie, au sommet pourtant de son expressivité. L'Allegro semble mièvre ; on le doit à la façon un peu répétitivement déclamatoire dont le violon assoit la mélodie dans un son sur-tiré et retenu jusqu'au maniérisme. Pour autant, on ne rend pas justice à l'interprète si l'on distrait l'attention du chantonnement délicat qu'elle conduit au-dessus d'un clavecin précis, et dont l'articulation vigoureuse, ornée d'appoggiatures discrètes, sert d'étai au mouvement. L'Andante paraît d'abord empâté dans un chant au violon maladroitement marqué comme une récitation d'enfant, et offre quelque chose d'un peu niais ; c'est toutefois sans compter sur la façon dont il s'installe dans une langueur délicate et subtile, une forme de flottement rêveur et non démonstratif. Plus dynamique, l'Allegro, enfin, offre en contraste un violon aux attaques plus nettes, recentré sur un timbre dont l'acidulé, plus constant, sert un jeu liquide, roulant sur les galets toujours élégants du clavecin.

À les résumer à grands traits, ces points se retrouvent sur l'ensemble des deux galettes : un violon sur-tiré, à l'articulation marquée, presque puérile, liquide et plus précise dans les mouvements rapides, désagréablement languide dans les tempi plus lents, joue dans l'espace étendu de ses timbres – tour à tour d'une surprenante rondeur ou d'une acidité parfois agressive – au détriment ici et là de la justesse ; tandis qu'en contraste, le clavecin le soutient d'un contrepoint aussi discrètement qu'élégamment orné sans jamais imposer rien que l'assise rythmique de chaque pièce.

Trop inscrit sans doute dans d'assourdissantes attentes, nous espérions à la première audition un entrelacement fusionnel des plans sonores, là où l'on nous en offre a contrario des glissements infinis et sans ostentation dans une légèreté, voire une superficialité (dans un sens noble) qui tient plus de la caresse que de l'intrusion extatique du son. Dans un très beau et authentique dialogue, le mariage clavecin/violon installe le plaisir musical moins dans le lieu d'une profondeur que celui d'une interface horizontale et fluente, sans jamais cette violence ou brutalité des émotions qui saisissent d'un frisson plus le corps que durablement le cœur. Ici, quelque chose demeure.

Un album exigeant, donc, qui peut demander que l'on se fasse attentif à certaines des facilités de sa propre écoute. Si l'on est prudent, peut-être alors peut-on caboter autour de quelques pièces qui nous ont semblé plus immédiatement accessibles, telles la Sonate en mi majeur BWV 1016 n°3, l'Adagio de la Sonate en fa mineur BWV 1018 n°5 et les deux derniers mouvements de la Sonate en ut mineur BWV 1017 n°4. Mais sans doute aussi vaut-il mieux prendre ici le risque d'une navigation hauturière. La musique a plus à y gagner.

MD