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Chroniques
Joby Talbot
The winter’s tale | Le conte d’hiver
Publiée en 1623 mais jouée à la cour dès le 5 novembre 1611, The winter’s tale est une tragicomédie, probablement écrite par William Shakespeare (1564-1616) cette année-là ou durant l’année précédente, entre The tragedy of Cymbeline, king of Britain(Cymbeline, 1609) et The tempest (La tempête, 1611) [lire notre critique du DVD]. Tragicomédie ? Oui, car le climat douloureux et cruel d’un premier acte pétri par une jalousie aussi subite que violente laisse finalement place à l’apaisement des deux derniers, via une transition pastorale.
Élevés ensemble, Leontes et Polixenes, l’un régnant en Sicile et l’autre en Bohême, conservent des relations fraternelles jusqu’à ce que l’Italien imagine une liaison adultère de sa femme Hermione, laquelle porterait l’enfant de son ami. Polixenes est sauvé de l’empoisonnement par Camillo, qui ne peut se résoudre à cet ordre injuste, tandis qu’Antigonus, autre serviteur de Leontes, abandonne sur un rivage lointain la petite Perdita (!...), mise au monde par Hermione emprisonnée. Lavée de toute accusation grâce à l’oracle de Delphes, la reine ne souhaite pas survivre à l’affront passé : elle se laisse mourir par fierté. Pour Mamilius, premier enfant du couple, tous ces événements familiaux sonnent aussi l’heure du trépas. Leontes demeure seul, brisé par sa folie.
Seize ans plus tard, retrouvons la jeune Perdita, sauvée jadis par un vieux berger et son fils, l’étrange Clown. Elle va épouser Florizel, prince de Bohême, déguisé en simple pastoureau. Incognito lui aussi, Polixenes se rend à la fête maritale pour mettre un terme au projet de son fils. Camillo trouve l’occasion de revoir sa terre natale : il incite le couple à se rapprocher de Leontes, puis révèle à Polixenes leur lieu de fuite. Tous quatre découvrent alors un homme abattu dont Paulina, dame de compagnie de la reine morte et veuve d’Antigonus, entretient sans pitié le remords. Mais le dénouement est radieux au delà de toute attente puisque Leontes retrouve sa fille, son plus vieil ami mais encore Hermione, laquelle revient à la vie grâce à une statue à son image.
Débarrassée de ses mots, l’intrigue de Shakespeare fait désormais l’objet d’un ballet narratif, sans temps mort, enregistré à la Royal Opera House (Londres) en avril 2014. Deux univers y cohabitent – minéral et martial pour la Sicile, végétal et festif pour la Bohême –, de la même façon qu’une danse fluide s’oppose aux cassures expressionnistes d’un roi rongé par un démon intérieur. Une douzaine de danseurs admirables incarnent les rôles principaux, dont Edward Watson (Leontes), Federico Bonelli (Polixenes), Lauren Cuthbertson (Hermione), Sarah Lamb (Perdita) et Steven McRae (Florizel), sans oublier Zenaïda Janowski (Paulina), porteuse d’une grande émotion à mesure que son personnage gagne en importance.
Comme pour Alice’s adventures in Wonderland en 2011 [lire notre critique du DVD], cette coproduction avec The National Ballet of Canada associe la chorégraphie de Christopher Wheeldon et la musique de Joby Talbot. Bien évidemment, ce dernier s’attache à différencier différents climats : douleur de la reine rejetée, langueur du roi veuf, tendresse des jeunes amants et joie collective du peuple au son d’une partition caractéristique dirigée par David Briskin – avec flûte, accordéon et cymbalum sur scène.
LB