Recherche
Chroniques
Igor Stravinsky
pièces pour piano
Né à Saint-Pétersbourg d’un père première basse au Théâtre Mariinski, l’un des créateurs majeurs du XXe siècle (1882-1971) n’a d’abord que peu de contact avec la musique savante. Il paraît même manquer de disposition pour cet art, lorsque commencent ses leçons de piano, à l’âge de neuf ans. Pourtant, l’instrument développe en lui « le goût de connaître, d’entendre, de déchiffrer » (André Boucourechliev, Igor Stravinsky, Fayard, 1982), une envie de découvrir les sons d’une manière toute personnelle, jugée comme du gaspillage de temps mais que l’intéressé défendrait dans Chroniques de ma vie (1935) : « […] ce travail continu d'improvisations n'était pas absolument stérile, car il contribuait d'une part à une meilleure connaissance du piano, et d'autre part faisait germer des idées musicales ».
Riche de l’enseignement de nombreux professeurs (Valentina Taryshnaya, Tatiana Rakova, Elena Kuznetsova, Sergueï Kuznetsov, etc.), la Kazakhe Oxana Shevchenko propose une intégrale des pièces pour piano de l’architecte d’Agon [lire notre critique du CD]. Beaucoup d’entre elles s’apparentent à des miniatures, ne dépassant pas cinq minutes. Après ce qui semble avoir été son premier acte musical écrit (1897) – une transcription d’un quatuor de Glazounov, aujourd’hui disparue –, Scherzo (1902) voit le jour, l’année même où le père décède d’un cancer de la gorge. Pour l’apprenti compositeur, plus rien ne s’oppose à l’abandon d’études de droit imposées. Deux pièces s’intéressent alors aux plus jeunes : Souvenir d’une marche boche (1915), conçue au profit des orphelins belges, et Valse pour les enfants (1917). Ragtime (1918) est achevé le jour de l’Armistice, « essai de portrait du jazz » pour neuf instruments revisité pour un seul, et quelque temps après Piano-Rag-Music (1919), avec les doigts d’Arthur Rubinstein en tête. À la mémoire de Debussy récemment disparu (1918), qui témoignait au Russe « une grande amitié » et à son œuvre « une inaltérable bienveillance », Stravinsky dédie Symphonies pour instruments à vent (1921). Un fragment réduit en est tiré. La France quittée au début de la Seconde Guerre mondiale, c’est aux États-Unis que naît Tango (1940), page que Marcel Marnat associe à de fréquents séjours mexicains, nécessaires à des renouvellements de visa (Stravinsky, Seuil, 1995). Enfin, à l’attention du cirque Barnum, Circus Polka (1942) réunit éléphants et ballerines, dans un ballet réglé par Balanchine !
Évoquons à présent les pièces pouvant atteindre une demi-heure, pour la plus longue. Si la mort de Feodor Stravinsky ouvre à son fils un avenir en harmonie avec ses propres choix, on peut considérer la Sonate en fa # mineur (1905) comme résultant d’une imprégnation majeure aux concerts consommés avec fièvre. C’est la première présentation publique de qui serait élève de Rimski-Korsakov pour trois ans. Elle est suivie par celle de Quatre études Op.7 (1908), influencées par Scriabine. Commande de Diaghilev, un premier ballet voit le jour à Paris : L’oiseau de feu (1910) [lire notre critique du DVD]. L’Italien Guido Agosti en assure une transcription partielle en 1963 – la seule du programme à ne pas être signée de son auteur. Stravinsky s’adresse de nouveau au jeune interprète, avec huit pièces très faciles sur cinq notes intitulées Les cinq doigt (1921). Il y passe des souvenirs sonores, ainsi que des quasi-citations (Histoire du soldat, Pulcinella). Sur la demande de Rubinstein, Trois mouvements de Petrouchka (1921) suit la création du célèbre ballet, une décennie plus tôt. Le créateur se lance dans une carrière de soliste et s’active sur des opus tels la Sonate (1924), puis la Sérénade en la (1925) – surprenante par sa « jaillissante invention » pour Boucourechliev, à l’inverse de Marnat qui cible un « vain exercice » à la limite d’être insipide…
Pourquoi saluer d’une Anaclase! l’interprétation d’Oxana Shevchenko ?
Dès L’oiseau de feu qui ouvre le programme, on applaudit un jeu agile et brillant – largement virtuose dans les Études –, une énergie qui cultive le mystère et les couleurs. Petrouchka séduit par une approche musclée, un art de la ciselure. Mais, pour reprendre l’idée inscrite au verso du disque, c’est avant tout l’attention minutieuse de la soliste au caractère spécifique de chaque pièce qui retient l’attention, spécialement dans les plus brèves, souvent les moins connues. Tango ? une miniature stricte puis débridée. Piano-Rag Music ? un coup de fouet. Scherzo ? un voyage-éclair entre Moscou et Vienne. Quant à Fragment…, son fort beau dépouillement saisit, sur les touches noir et blanc.
LB