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Chroniques
Hervé
Chilpéric
Été 2020. Les théâtres demeurant difficile d’accès en cette période de crise sanitaire, le critique musical doit renoncer à sa zone de confort pour écrire des lignes attendues par sa rédaction, si ce n’est par le lecteur. En ce qui nous concerne, cela signifie lorgner du côté de l’opéra bouffe, avec un livre consacré à la correspondance d’Offenbach [lire notre critique de l’ouvrage] et cette production de Chilpéric, œuvre en trois actes et quatre tableaux créée au Théâtre des Folies dramatiques (Paris) le 24 octobre 1868. En décembre 2012, elle fit l’objet d’une production, au Grand Théâtre d’Angers.
Son auteur en est Florimond Ronger dit Hervé (1825-1892), gamin du Pas-de-Calais devenu enfant de chœur à l’Église Saint-Roch, dans une capitale où sa mère doit s’installer. Du solfège, il passe à l’apprentissage instrumental (piano, orgue), puis à celui de la composition, auprès d’Auber. Il obtient un poste d’organiste à la chapelle de l’hôpital de Bicêtre, puis développe une classe de musique avec certains aliénés. Une troupe se constitue, pour laquelle est composé L’ours et le pacha (1842), d’après un vaudeville de Scribe et Saintine. Puis Ronger joue l’orgue de Saint-Eustache, tout en interprétant des petits rôles. En 1854, il obtient le privilège d’un théâtre qu’il baptiste Les Folies-Nouvelles, pour lequel il écrit nombre d’ouvrages empreints d’un humour surréaliste avant l’heure. Une rivalité courtoise s’annonce alors avec le père de La belle Hélène, lui-même à la tête des Bouffes-Parisiens. Dans une carrière en dents de scie, des opus comme Mam’zelle Nitouche (1883) ou Frivoli (1886) lui permettent de garder l’affiche jusqu’au jour d’une ultime et fatale crise d’asthme.
Pour l’écrivain Pierre Jourde, l’opérette que façonne Hervé est plus élaborée que chez d’autres : « elle ne se résume pas à la parodie, qui fait appel à la complicité du public, à une reconnaissance, il lui faut aussi l’amphigouri, la défamiliarisation, l’incompréhensible ». En alliant transparence et obscurité, ressassement et originalité, le compositeur-librettiste pousse l’absurdité de la fiction théâtrale jusqu’à contaminer la musique, quand le personnage sait qu’il chante. Dès lors, « le chant cesse d’être un moment préservé, mélodieux, ordonné, dans lequel les individualités caricaturales du drame se transformeraient magiquement en interprètes impeccables » (in Littérature monstre, L’esprit des péninsules, 2008).
Grâce à l’Atelier Lyrique Angevin, dont Christian Foulonneau a préparé le chœur et Rémi Corbier l’orchestre, découvrons les ennuis de Chilpéric, roi de Gaule forcé de répudier sa maitresse pour épouser la sœur de sa belle-sœur, tandis que son frère complote à sa perte… parmi bien d’autres. Si l’on est d’humeur, on peut sourire à cette histoire qui traîne en longueur (près de trois heures) et goûter au charme de certaines voix : celles de Valeria Altaver (Frénégonde), Caroline Montier (Brunehaut), Anne Le Bras-Bastide (Galswinthe), Delphine Cadet (Mme Chapuis) et Vanessa Berrué (Fana), auxquelles s’associent celles de Charles Mesrine (Chilpéric), Louis Zaitoun (Landry), Timour Sadoullaiev (Alfred), Philippe Brocard (Ricin), Nicolas Bercet (Sigebert), Pierre-Louis Crevoisier (Le Grand Légendaire), Philippos Vazakas (Divitiacus) et David Traineau (Don Nervoso). Jocelyn Riche signe la mise en scène de cette rareté qui ravira les amateurs de légèreté.
LB