Dossier

entretien réalisé par laurent bergnach
avril 2007

Guy Livingston, pianiste
Contemporary Music Forum

Aleph et la musique américaine
le pianiste étatsunien Guy Livingston interviewé par Laurent Bergnach
© villecroze med

Afin de célébrer les liens étroits qu’avec la France le pianiste américain Guy Livingston a tissés, l'ensemble Aleph lui donne carte blanche à travers un festival de quatre concerts consacrés à la musique contemporaine américaine (Théâtre Dunois, les 25 et 26 mai 2007). Pour cet événement ambitieux, Aleph invite le Contemporary Music Forum (Washington). Ses membres sont les compositeurs Steve Antosca, Douglas Boyce, Geoffrey Gordon et Jeffrey Mumford, dont les œuvres figureront au programme, et les instrumentistes Lina Bahn (violon), Carole Bean (flûte), Bill Richards (percussions), Lura Johnson (piano), James Stern (violon, alto) et Collin Oldham (violoncelle). Nous rencontrons Guy Livingston, diplômé de Yale University, du New England Conservatory of Music, et du Conservatoire Royal des Pays Bas (La Haye), principal interprète de la musique de George Antheil.

Comment s'est décidé un projet aussi ambitieux ?

De façon improvisée, au départ. Je travaillais en trio avec Noëmi Schindler et Christophe Roy (respectivement violoniste et violoncelliste de l'ensemble Aleph), l'idée d'un programme de musique américaine fut évoquée un jour. Lorsqu'au cours d'une tournée aux États-Unis, Aleph rencontra le Contemporary Music Forum (Washington), les forces furent réunies pour mener à bien un tel projet. En France, on connaît surtout la musique de film nord-américaine – et inversement, d’ailleurs ! Fruits de l'enrichissement de nos diverses rencontres pour mettre à jour ce festival, ces deux jours ont donc une fonction éducative, culturelle, mais aussi ludique. Durant plus d'un an, nous avons débattu autour de partitions, de « démos », pour décider ce qui serait joué et ce qui ne le serait pas – même si c’est frustrant ! La seule certitude de départ était de mêler des compositeurs de référence à d'autres plus jeunes, ou tout au moins dont les œuvres sont encore peu connues, y compris dans leur pays natal. Globalement, sans toutefois refléter l'avant-garde, je pense que nous présentons un portrait assez sensible de cette deuxième moitié du XXe siècle.

Pouvez-vous définir l'esthétique des compositeurs les plus jeunes ?

Certains suivent des courants « établis », mais en les faisant évoluer, d'autres partent au contraire dans une direction radicalement nouvelle. Je pense, par exemple, à la pièce d'Annie Gosfield : elle est associée au minimalisme tout en faisant preuve d'originalité ; également à celle de Ned McGowan, qui sera jouée le même jour : ce trentenaire propose une œuvre très complexe sur le plan rythmique, influencée par la musique populaire, le rock en particulier. Ce sens de l'aventure est, je crois, typiquement américain, puisque notre absence de tradition à forcément influencé notre musique. Sans le poids de l'Histoire, les créateurs éprouvent une joie de chercher, une liberté d'inventer leur propre langage. Prenez les deux œuvres de Carter et de Feldman au programme : Sonata for cello and piano s'inspire des rythmes de jazz, présentant une grande densité de notes, tandis que Met Heine on the Rue Furstenberg (clin-d'œil à Paris !) est étonnamment contemplative, avec son climat méditatif, son jeu restreint qui exige une concentration énorme de la part des musiciens.

Vous avez-vous-même arrangé Serpents, du Bad Boy Antheil…

Oui, j'adore sa musique ! C'est le compositeur le plus intéressant des années vingt, le seul véritable futuriste. Trois ou quatre ans à l'avance, Serpents annonce Ballet mécanique et, plus généralement, la musique de Conlon Nancarrow. Cette œuvre pour pianola nous était connue par une lettre de 1922, mais on la croyait perdue à jamais. Pourtant, Marc-André Hamelin l’a retrouvée un beau jour dans une vente aux enchères où il en fit l’acquisition pour onze dollars ! Grâce à un expert allemand de l'instrument, un rouleau fut refait d'après la partition. J'en ai effectué une version pour un piano et trois pianistes dont vous entendrez la création mondiale.