Chroniques

par bertrand bolognesi

Goffredo Petrassi
Monologhi

1 CD Tactus (2021)
TC 901603
Sept pages en solo, écrites entre 1933 et 1980 par Goffredo Petrassi...

Retrouvons la musique de Goffredo Petrassi grâce à ce CD qui, à l’initiative du violoniste Alessandro Cazzato, réunit ses sept soli sous un seul titre, monologhi (monologues). Six instruments sont tour à tour convoqués, dans un corpus ouvert dès 1933 et qui prend fin en 1980. Peu fréquente dans nos salles de concert, l’œuvre du Romain, disparu durant sa quatre-vingt-dix-neuvième année en mars 2003, témoigne d’un double souci de s’inscrire dans sa contemporanéité tout en ne tournant pas radicalement le dos à l’héritage ancien. On retrouve dans cette parution du label Tactus la Toccata pour piano (1933) récemment appréciée sous les doigts d‘Andrea Molteni [lire notre critique du CD], dont le néoclassicisme affirme une parenté certaine avec celui d’Hindemith, entre autres. À son tour, Vanessa Sotgiu s’en empare, livrant une lecture subtilement phrasée et fort nuancée qui renouvelle pleinement l’écoute, sans manquer toutefois d’accorder à la partie médiane, d’un aspect presque improvisé, la tonicité que requiert sa fantaisie. Dans les années cinquante, le compositeur confie volontiers à la guitare le soin d’exprimer ses désirs d’expérimentation où l’on chercherait vainement une trace thématique. Le parcours en collage de fragments de Suoni notturni (1959), dédié au peintre frioulan Afro Basaldella et à sa manière cubiste affirmée, sonne, dans l’interprétation de Lapo Vannucci, tel un manifeste d’abstraction expressionniste en musique.

Dix ans plus tard, l’Italien livre Souffle pour flûtiste, le musicien jouant les flûtes en sol et en ut ainsi que le piccolo – la pièce est écrite pour le célèbre Severino Gazzelloni. Plus engagée encore dans l’exploration d’un monde inédit, cette page est servie avec présence et profondeur par Arcadio Baracchi, un artiste qui enjambe sereinement son écriture virtuose, au fil d’un élan dramaturgique en narration secrète. Voilà, assurément, du grand Petrassi [lire nos chroniques d’Estri et de Tre per sette] ! À l’occasion du quart de siècle de la disparition d’Alfredo Casella, il compose Elogio per un’ombra (1971) qu’il confie au violon. Sans déroger à la fertile inventivité dont il s’est fait le chantre, il produit avec cet opus un objet intrigant en ce qu’il trouve sa modernité même via un voyage savant et virtuose dans l’histoire du répertoire violonistique, de Corelli à Bartók. On doit à Alessandro Cazzato une version vigoureusement contrastée à laquelle on ne se lasse pas de retourner tant elle fascine. La même année, la guitare revient avec Nunc, soliloque dramatique traversé de plusieurs citations.

Gravé pour la première fois, Violasola (1978) est, comme l’indique le titre, dédié à l’alto. Son exigence expressive et technique force l’admiration autant qu’elle interpelle l’écoute. Alessio Toro brille de mille feux dans d’infernales boucles palilaliques qui tendent redoutablement le jeu, développant, par-delà ces difficultés, une souplesse quasiment lyrique que nourri un grand souffle, raréfié dans des moires feutrées, pour finir, avant un geste péremptoire de clôture. Ultime page de l’enregistrement, Flou (1980) pour harpe tisse son chemin par l’assemblage de petites sections, selon un paysage qu’on pourra dire tachiste, où le muscle expressif sollicite grandement la musicienne, ici la vaillante Francesca Tirale, à laquelle sont imposés quelques idiomatismes harpistiques. Curieusement, bien que les sept pages ne se ressemblent guère, une seule et même personnalité s’impose : celle, inépuisable, de Goffredo Petrassi.

BB