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Chroniques
Fryderyk Chopin
Valses
Ce nouveau disque de François Chaplin surprend à plus d’un titre. Outre qu’il propose, à l’instar d’illustres aînés, d’écouter l’ensemble des valses de Chopin, ce qui pourrait paraître passé de mode, celles-ci sont jouées sur un instrument Yamaha, quand de plus en plus d’artistes se tournent vers des pianos de facture ancienne, pour ne pas dire vers des pianos historiques. Qu’à cela ne tienne : préparé et accordé par Antoine Malbos de Latour, ce grand Yamaha CFX, capté au Théâtre de Poissy à la veille du second confinement de l’année 2020, affiche d’indéniables qualités dont la souplesse de l’aigu n’est certes pas des moindres et favorise un cantabile omniprésent que le musicien considère comme le maître-mot de l’univers chopinien. On trouvera dans l’impédance limitée des graves un bon allié quand il s’agit de ne pas appuyer l’accompagnement et, au contraire, de l’honorer d’un muscle alerte et malléable.
L’autre surprise de l’enregistrement est la salutaire ténuité dans laquelle le pianiste maintient son expressivité, selon un paradoxe puissant qui confronte la sensibilité, toujours exigée, et quelque chose qui ressemble à une lutte intime afin de la rendre plus discrète, partant que sans elle, pourtant, rien ne serait possible. Pas de grandes effusions, donc, nulle exaltation superfétatoire : cette gravure cultive l’équilibre entre le sentiment et la pudeur dans un son toujours soigneusement ciselé, sans que cette ciselure même en fasse l’objet, éclairé dans quelque orgueilleuse monstrance. Chaplin fredonne les valses avec un charme qui jamais ne les chantonne, invitant l’auditeur dans les fortuites minuties d’un paysage, toujours changeant, de pastels aiguisés – au manège de l’oxymore la plume n’en finirait pas.
Ainsi la clarté dans laquelle est ouverte la Valse Op.34 n°1 refuse-t-elle un brio trop luisant, préférant la sertir dans une réserve qui caractérise la fausse ritournelle à venir. De même la suivante de l’opus se dessine-t-elle sans inféconde rigueur tout en gardant ses distances avec les tentations expressives, la virevolte de la dernière préservant dans le non-appui de son pas un secret qu’un jour de dentelle ne laisse point entrevoir. De l’Opus 64, le premier numéro, outrageusement remâché de-ci de-là, témoigne d’une grâce qu’on aurait peut-être pu oublier. Une toute petite coquetterie définit l’interprétation, d’une virtuosité délicate qui ne se voit pas. Une tendresse indicible traverse la Valse en ut # mineur Op.64 n°2, emportant le volte-face médian dans une mélancolie qui absorbe, littéralement, l’écoute. Un poison délite sa toxine dans la troisième page du cahier, par-delà la clairière centrale, timide.
Un léger rubato vient contrarier le premier motif de la Valse en la bémol majeur Op.69, sertie dans un mezzo piano sagement contenu, à peine mouillé d’une pédale qui vient feutrer les obstinations du second et plus encore ses velléités héroïques avortées. Une savante demi-teinte nimbe la suivante, en si mineur, à laquelle est dénié toute revendication émotive – ce n’est pas parce qu’on le convoque que l’émoi surgit mais simplement parce qu’il y est, e basta così. De l’Opus 70, le premier numéro inviterait presque à la danse, n’était un geste qui en diffère le cœur, entre les deux bals. Longtemps l’on pourrait gloser sur la nostalgie qui subtilement déglingue la mécanique du deuxième, autant que sur le rai qui peu à peu s’embue au fil du dernier jusqu’à la césure de l’appui dans le pont du second motif sans prétendre dispenser le lecteur de faire son propre chemin dans ce fort beau CD que, plutôt qu’à le jalonner, l’on se contentera de lui conseiller très vivement. Est-ce trop court ainsi ? La critique ne parvenant jamais à l’objectivité, assumons-en le contraire en disant, simplement, ô combien, pour des causes parfaitement diverses voire opposées, nous ravissent la lecture de la Valse en la bémol majeur Op.42 et celle de la Valse en la mineur Op.posth. (que l’on dit facile, comme si la technique suffisait à la musique). Nul ne s’en lassera.
BB