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Chroniques
Franz Schubert
Winterreise D911
Quel plaisir de retrouver enfin, en CD, la trop rare Nathalie Stutzmann dans un cycle majeur de Franz Schubert ! Dans les années quatre-vingt dix, notre contralto national fut l'une des stars de la défunte Erato pour laquelle elle enregistra bon nombre d'opéras et de récitals, aux côtés des plus grands, comme Marc Minkowski. À la suite des malheurs de la firme française, elle s'est donc retrouvée orpheline et, à part quelques disques enregistrés pour RCA, elle n'avait pas vraiment retrouvé de second souffle… Merci donc à Calliope de nous offrir ce CD enregistré en septembre 2003 au studio mythique de la Radio de Berlin où tant de grands chanteurs l'y ont précédée. Accompagnée de sa pianiste fétiche depuis 1994, la grande et méconnueInger Södergren, elle nous livre une vision presque sur le vif – « Nous avons enregistré le cycle en quatre jours. Beaucoup de Lieder, sans aucun montage, traduisent ces instants privilégiés ».
Schubert avait composé ce Voyage d'hiver pour des voix masculines aiguës. Toutefois, très rapidement, ces Lieder furent transposés pour des voix graves, souvent par le compositeur lui-même. Au fur et à mesure, les cantatrices s'en sont emparées. Au cours du XXe siècle, Elena Gerhardt et Lotte Lehmann, par exemple, ont interprété, avec beaucoup de succès, le fameux cycle. Plus près de nous, la grande Christa Ludwig en a laissé un témoignage bouleversant au disque, aux côtés de James Levine (Deutsche Grammophon). Élève de Hans Hotter, l'un des interprètes de référence de Schubert et de ce Voyage d'hiver, Nathalie Stutzmann a laissé « mûrir » la partition vingt ans avant de se résoudre à l'interpréter. Il y a deux ans, elle se décide finalement à reprendre l'étude du cycle, avec sa pianiste – « Nous avons cherché, expérimenté tous les chemins de ce voyage, une année durant, au cours de multiples récitals, jusqu'à ce que nous estimions que le moment était venu d'aller devant les micros ».
Pendant plus d'un an de travail acharné, Inger et Nathalie ont ainsi scruté chaque phrase, chaque nuance et ont su interpréter les arcanes de cette partition complexe et tragique. Elles arrivent ainsi à se jouer des difficultés de la partition, proposant un témoignage poignant et convaincant. Grande spécialiste de Schumann et de Brahms qu'elle a beaucoup enregistrés pour Calliope, Inger Södergren la suit pas à pas. Les deux interprètes nous plongent dans ce voyage prémonitoire vers la mort où Schubert surprend par une tonalité déchirante, dominée par le désespoir et la résignation, aux frontières du suicide.
La belle voix androgyne de contralto de Nathalie Stutzmann a évolué au fil des années, encore plus chaude et plus cuivrée et sans excès de vibrato. Sa prononciation de l'allemand est irréprochable et convient parfaitement au récit de ce malheureux vagabond, errant en plein hiver. Grâce aux couleurs sombres et automnales de sa voix aux graves inouïs, elle sait alterner et faire contraster désespoir total et moments d'apaisement. Ces rares instants utilisent le mode majeur pour faire référence au bonheur irrémédiablement perdu du Wanderer, à la différence du reste de l'ouvrage entièrement en mineur. Ils résonnent dans la voix du contralto d'un écho lugubre qui renforce encore plus le tragique. Un grand disque, indispensable, qui, n'en doutons pas, fera date dans la discographie déjà riche du Winterreise.
MS