Chroniques

par bertrand bolognesi

Francis Poulenc
Fiançailles pour rire – La voix humaine – Les chemins de l’amour

1 CD Aparté (2023)
AP 320
Julie Cherrier-Hoffmann chante Francis Poulenc

Au Teatro La Fenice de Venise, en juillet 2022, Frédéric Chaslin enregistrait, à la tête de l’orchestre de la maison, un programme entièrement consacré à la musique de Francis Poulenc, défendu par le soprano Julie Cherrier-Hoffmann. Leurs interprétations de trois œuvres sont immortalisées, trois œuvres par lesquelles le compositeur français s’est saisi des mots de Louise de Vilmorin, puis de Jean Anouilh, enfin de Jean Cocteau, et dont la destinée nous transporte de 1929 à 1959.

A contrario de l’ordre proposé par le CD, notre chronique s’attachera, pour commencer, aux Fiançailles pour rire, six poèmes de Vilmorin réunis en un cycle mélodique par Poulenc, en 1939. À l’origine, c’est un piano qui accompagne la voix, mais le pianiste, compositeur et chef d’orchestre parisien s’est engagé dans une orchestration qui étonne par sa saveur plus vraie que nature. Outre la grande qualité de diction de Julie Cherrier-Hoffmann et la fraîcheur délicate de son timbre, on apprécie la proposition de Frédéric Chaslin, si proche des sonorités du compositeur que l’on garde en tête. Les bois de La dame d’André sont un délice qui ne nuit en rien à la relative inquiétude, toujours élégante, de l’œuvre. Après la désolation de Dans l’herbe, « le fromage rond de la fable » vient prestement succéder au jour dans un ciel frémissant – Il vole, où l’on admire la sûreté de l’intonation de la chanteuse. Puis c’est Mon cadavre est doux comme un gant, dans une expressivité discrète mais certaine, à l’heure où la « vie est dite ». Dans une sonorité exquisément désuète, la valse de Violon caresse l’écoute d’une sensualité un rien nauséeuse. L’opus se conclut avec Fleurs et son élan serein, ici fort habilement transmis.

L’année suivant, Poulenc écrit une chanson pour Léocadia, une pièce d’Anouilh où Yvonne Printemps la ferait entendre à partir de décembre 1940 – dix-huit mois avant la création des Fiançailles, donc. Là encore, l’orchestration est de Chaslin. Elle magnifie l’original avec une générosité idéale qui souligne la souplesse de l’instrument vocal. Restons au théâtre, avec le monodrame de Cocteau, La voix humaine, écrit en 1929 et mis en scène à la Comédie Française en février de l’année suivante, avec Berthe Bovy dans l’unique rôle humain – on peut considérer qu’il y a un second rôle : le téléphone, sans qui Elle n’existerait pas. En 1958, Poulenc en fait une tragédie lyrique en un acte à laquelle Denise Duval donnera le jour en février suivant, à l’Opéra Comique – vingt-neuf ans ont passé depuis la première parlée. Cette fois, l’œuvre est orchestrée (même s’il en existe une version avec piano). Frédéric Chaslin en dirige une lecture dominée par l’urgence, l’angoisse de l’interruption de la conversation, de ce risque de ne pas tout dire, de ne peut-être pas mentir exactement comme on le voudrait, etc. Sous sa battue, tout est impératif, même les îlots de tendresse qui suspendent le réel. La douce autorité de Julie Cherrier-Hoffmann impose une présence indéniable qui à elle seule dessine, en ciselant musique et texte, une mise en scène que chacun saura intérieurement imaginer, croyons-nous.

Ce disque explore les amoureuses, celle-ci de l’intérieur quand celles des deux autres pièces sont investies du dehors. Tout juste y manque-t-il cette délaissée, amoureuse elle aussi, d’une chimère qu’on appelle le hasard : La dame de Monte-Carlo (1961) qui de son plongeon aurait avantageusement complété le menu. Bien qu’elle nous manque un peu, son absence ne gâche pas le plaisir dispensé par cette gravure sensible.

BB