Recherche
Chroniques
Erich Wolfgang Korngold
Quintette avec piano en mi majeur Op.15 – Suite Op.23
Fêté dans les dernières années d'une Vienne impériale, admiré par ses aînés tels Puccini et Mahler – qui l'incita, encore impubère, à prendre des cours auprès de Zemlinsky –, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) aurait-il imaginé finir sa vie à Hollywood ? Le jeune prodige, qui fut dans les années vingt le compositeur d'opéra le plus joué après Richard Strauss dans les pays germanophones – notamment avec Die tote Stadt, créé lorsqu'il avait vingt-trois ans – rencontrerait l'exil américain, vécu par tant d'autres Juifs à l'avènement du règne des chemises brunes. Après Violanta (1916), Das Wunder der Heliane (1927) ou encore Die Kathrin (1939), c'est désormais au générique de dix-sept films que le compositeur inscrira son nom. Les musiques d’Anthony Adverse et The Adventures of Robin Hood se verront couronnées d'un Oscar, ce qui le surprendra peut-être moins que le peu de succès rencontré à son retour en Europe, après-guerre. Surnommé par certains de ses contemporains« le dernier romantique », Korngold serait en effet regardé comme une figure du passé dont la production n'aurait valu, tout bien considéré, que par un vague charme désuet, pour ceux qui regardaient alors vers un avenir plus radical.
Moins connu, son travail chambriste (trois sonates pour piano, des lieder, des quatuors, etc.) mérite cependant l'attention. Son Quintette avec piano en mi majeur Op.15, par exemple, est des plus élaborés. Achevé en 1921, dédié au sculpteur sourd-muet Gustinus Ambrosi, il use dans ses trois mouvements complexes d'un style héroïque et d'un élan romantique dont l'esprit rejoint celui de l'opéra qui avait fait la renommé du musicien, un an auparavant. Dès le Mässiges Zeitmass, l'œuvre frappe par une tonicité expansive, le soin apporté à l'écriture des cordes et la virtuosité du piano. Dans l'Adagio central, on reconnaîtra neuf variations réalisées à partir de son cycle de chansons, Lieder des Abschieds. Le Finale : Gemessen, beinahe pathetisch s'ouvre sur un thème déclamatoire et strident auquel vient s'opposer un Rondo plus joyeux. Lors de la création à Hambourg, le 16 février 1923, Korngold accompagnait le quatuor à cordes. Sur ce disque, des artistes américains se sont réunis – les violonistes Claudia Chudacoff et George Marsch, l'altiste Nancy Thomas Weller, le violoncelliste Steven Honigverg – autour du piano de Kathryn Brake. Que cela vienne d'une prise de son peut-être maladroite ou d'un déséquilibre instrumental intrinsèque à l'œuvre, malgré une lecture fidèle, le Quintette ne semble pas ici à son avantage. Un sentiment que l'écoute de la Suite Op.23, magnifiquement interprétée, confirmera.
Bien avant Ravel, Prokofiev ou Britten, c'est à Korngold que Paul Wittgenstein, amputé du bras droit lors de la Première Guerre, passa commande d'un Concerto pour la main gauche, en 1923. Ravi de cette première livraison en un seul mouvement, le pianiste en solliciterait une seconde, cette fois pour ensemble de chambre. Ainsi vit le jour la Suite Op. 23 pour deux violons, violoncelle et piano-main-gauche. Ouvrant le Prelude et fugue dans une cadence dramatique et heurtée qui annonce une fugue typique de la facture de Korngold, toute en tension chromatique et souvent dissonante, cette page se poursuit en une Valse intensément viennoise, nostalgique, avant qu'un plus diabolique troisième mouvement, sous-titré Grotesque, ajoute du piquant au propos général. Épisode plus lent, le Lied est une citation de l'Opus 22, tandis que nous retrouvons, comme précédemment, un Final en rondo, avec variations. Paul Wittgenstein créa l'œuvre à Vienne le 21 octobre 1930, entouré du célèbre Rosé Quartet. Vraisemblablement, les contraintes du trio avec piano réussirent à Korngold qui signait avec celui-ci une de ses plus belles œuvres, telle qu'en témoignent les instrumentistes de cet enregistrement d'une fraîcheur exaltante.
HK