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Chroniques
Elliott Carter
Holyday Overture – Symphonie n°1 – Concerto pour piano
Pionnier de la musique moderne aux États-Unis, Elliott Carter (il fêtera ses cent ans en 2008 !) a composé durant plus de quatre-vingt ans et demeure l’un des artistes américains les plus dignes d'intérêt. Les trois œuvres présentées ici rendent compte d'aspects assez dissemblables de son travail, tout en se situant autour du milieu du XXe siècle.
L'ouverture Holyday, écrite durant l'été 1944 et révisée en 1961, célèbre la Libération de la France par les Alliés. Carter, qui avait étudié la composition durant trois ans à Paris, ne pouvait manquer d'être sensible à cette victoire décisive qui déterminait la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est sans doute pourquoi il s'agit d'une des œuvres les plus triomphantes et bravache de sa carrière. Thèmes syncopés, rythmes croisés, dissonances sont ici prédominants, alors qu'il avoue utiliser sciemment, pour la première fois, « la notion de strates musicales simultanément contrastées ». Ironie de l'Histoire, l'œuvre sera créée sur le territoire allemand, à Francfort, sous la direction de Sergiu Celibidache. Sur ce disque de la collection American Classics du label Naxos, Kenneth Schermerhorn dirige l'Orchestre Symphonique de Nashville dans une version éclatante et jubilatoire.
Partition commencée dans les années trente, prévue initialement pour faire partie du ballet Pocahontas (1939), la Symphonie n°1 sera terminée en décembre 1942. De nombreux passages – tels les luxuriants accords de cordes qui ouvrent le premier mouvement – datent cependant de la révision de l'œuvre, en 1954. Prévue pour un orchestre réduit, employant principalement le langage tonal et ses règles harmoniques, cette symphonie témoigne de l'influence majeure du jazz et du néoclassicisme de Stravinsky sur le jeune compositeur, à l'époque où son professeur était Nadia Boulanger. De fait, l'on y entendra quelques traits hérités de la Symphonie d'instruments à vent du vieux maître russe, ou encore de son Histoire du soldat, mais aussi une orchestration héritée de Charles Ives et Samuel Barber, somme toute assez sage. On goûtera sur ce disque une lecture très équilibrée, ne donnant jamais dans le spectacle d'une excessive accentuation, évitant de nombreux effets possibles, avec un grand discernement, de sorte qu'on ne retrouve pas cette impression de partition colorisée souvent rencontrée à l'écoute de ce type d'œuvre. Le second mouvement est moins lyrique qu'on aurait pu s'y attendre, et c'est tant mieux ! On y admirera au passage le contrôle exemplaire de la progression du crescendo.
Le Concerto pour piano de Carter, justement dédicacé à Stravinsky pour son quatre-vingt-cinquième anniversaire, est écrit en 1964-65, en réaction à la construction du Mur de Berlin. Au milieu des années soixante, le compositeur a déjà bâti les fondations d'une musique totalement neuve où l'on trouvait le goût du contraste plutôt que celui des mélanges, où les différences entre les lignes instrumentales devenaient plus accentuées qu'adoucies. Ses œuvres de chambre portent la trace de toutes les expérimentations qu'il ne pouvait pas toujours appliquer au travail orchestral, pour des raisons institutionnelles. Ici, plutôt que d'opposer le piano à l'orchestre, il est protégé d'une confrontation directe par un petit groupe composé de sept musiciens, décrits comme des médiateurs. Ce groupe partage un même matériel musical avec le piano dont le jeu foudroyant est en absolu contraste avec l'ambiance plus élaborée de l'orchestre, occupé à de longues harmonies prolongées dans un mode tout à fait différent. Résolument moderne, cette œuvre choque l'auditeur dans un tel programme. C'est d'ailleurs une excellente idée ! Toutefois, si le pianiste Mark Wait est irréprochable, le choix de sonorité reste terne, et la proposition du chef manque de lumière. On lui préfèrera la gravure d’Ursula Oppens avec le SWF Sinfonieorchester et Michael Gielen pour Arte Nova Classics en 1992.
HK