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Chroniques
Christlieb Sigmund Binder
concerti pour deux clavecins
Durant toute l'époque baroque, la ville de Dresde accorda une grande place à la musique, aux artistes italiens en premier lieu, puis à l'art français. On doit à cette dernière influence la réorganisation de la Chapelle Royale en 1697 et l'engouement de la cour pour les suites d'orchestre tirées de quelques opéras de Lully, Campra et Rameau. La guerre de Sept Ans (1756-1763) vit la Saxe ruinée par l'invasion prussienne. La vie musicale survécut aux déboires économiques sous forme de musique de chambre. Frédéric Auguste III, musicien éclairé et reconnu, se passionnait depuis l'adolescence pour le clavecin. Christlieb Sigmund Binder (1723-1789) fit toute sa carrière à Dresde, y devenant second organiste en 1764 avant de remplacer le premier en 1787. Son œuvre est exclusivement instrumentale et il contribua largement à doter la bibliothèque royale de concerti pour cet instrument – 35 parmi les 343 recensés !
Le concerto pour clavecin est un genre que fait naître Johann Sebastian Bach en 1719 en Allemagne, à partir du modèle italien, et qui se développera hors de la fameuse famille dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. De nombreux clavecinistes importants séjournèrent à Dresde : Christian Petzold, Wilhelm Friedemann Bach, Johann Gottlieb Goldberg, etc. Si Binder s'est inspiré de l'œuvre de Carl Philipp Emanuel, son travail de composition fait preuve d'originalité, unissant un sens vivant de la forme et une profondeur d'expression à une technique instrumentale idiomatique.
« À l'époque où un musicien italien pouvait devenir l'archétype du goût français, où un saxon composait des opéras italiens à Londres et où un prince prussien ne s'exprimait qu'en français, l'Europe de la culture était déjà une réalité », résument les deux solistes de ce disque. Élève de Scott Ross et de Mireille Lagacé, la Canadienne Bibiane Lapointe s'est ensuite perfectionnée dans la classe de Ton Koopman. Le Strasbourgeois Thierry Maeder a lui aussi suivi cet enseignement, après avoir étudié l'orgue avec André Sticker et le clavecin avec Aline Zylberajch. Ils se sont produits avec plusieurs ensembles de musique ancienne à travers le monde, avant de fonder Les Cyclopes et d'enregistrer, également chez Pierre Verany, Pachebel et Reincken.
Ils jouent ici deux concerti pour deux clavecins et orchestre composés en 1767. Si l'on remarquera l'élégance avec laquelle ils engagent l'Allegro du Concerto en ré majeur, c'est la gracieuse nudité de l'Adagio qui concentrera avantageusement l'écoute. Dans le troisième mouvement, on notera les interventions des vents, particulièrement équilibrées. Le Concerto en fa majeur s'avère plus directement brillant, d'une facture qui se livre plus aisément. Et l'héritage de Carl Philippe Emanuel Bach y est évident. En revanche, le très orné Adagio central demeure assez terne. Le Vivace final est un peu lourd, sorte de gentille danse campagnarde ponctuée par des cors goguenards.
Cet enregistrement vient éclairer une présence discographique des plus réduites, jusqu'à ce jour (quelques pièces pour viole d'amour et pianoforte chez Arion, entre autres). Signalons au passage que le violoniste, organiste et compositeur Pantaleon Hebenstreit fut le maître de Binder ; étant le plus actif artisan de la redécouverte et du développement du cymbalum en Europe, il invitera les têtes couronnées à s'essayer à cet instrument (de sorte que Louis XIV dénommera l'objet pantaleon – il s'agit bien d'un cymbalum et non d'un psaltérion d'une facture nouvelle, comme certains historiens se sont fourvoyé à le dire), de même que quelques-unes de ses pupilles à écrire pour lui, dont Binder. Quant à pouvoir entendre lesdits essais, nous n'oserions en rêver…
AB