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Chroniques
Charles Ives
œuvres pour orchestre
Considéré comme le père de la musique moderne américaine, Charles Edward Ives (1874-1954) a qualifié de symphony six de ses œuvres pour orchestre. Quatre sont numérotées – dont la première, en ré mineur (1896-98), livrée en guise de thèse de fin d'études à l'Université de Yale –, une autre en quatre mouvements pouvant être joués individuellement s'intitule A Symphony : New England Holidays (1904-13), tandis qu’Universe Symphony (1911-16, retravaillée jusqu'à la mort de l'auteur) est restée incomplète, tant à cause des problèmes de santé que d'une conception fluctuante de la composition.
La Symphonie n°3 « The Camp Meeting » (1901-1904, remaniée vers 1909 et 1911) est une œuvre de transition entre le style encore traditionnel des débuts – période marquée par les travaux pour l'orgue et le chant choral – et une complexité plus tardive. En effet, si par leur agencement formel et leurs caractéristiques thématiques, les deux symphonies précédentes restent dans l'héritage romantique, cette Troisième, évoquant des souvenirs de rencontres d'évangélisation auxquelles Ives avait participé dans sa jeunesse, se signale par son introversion et sa nouveauté : utilisation d'un orchestre de chambre sans percussions, titres programmatiques de chaque mouvement, citations d'hymnes (Azmon, Erie, Fountain, The Happy Land, Naomi, Woodworth) dans des fragments motiviques développés tout au long de l'ouvrage, superposition verticale de motifs isolés, etc. La reconnaissance difficile accordée à la musique de cet expérimentateur explique une création tardive, le 5 avril 1946. Au pupitre, Michael Stern s'ingénie à tisser une couleur qui relie entre elles les facéties du premier mouvement. Plutôt claire, sa lecture profite de l'orchestration sans souligner les effets. Le deuxième rencontre une verve aimable qui en articule fraîchement la démarche, tandis qu'une discrète élégance livre le dernier.
Le Rundfunk Sinfonieorchester Saarbrücken joue ici la Robert Browning Overture (1908-1912, révisée de 1936 à 1942 avec l'aide d'Henry Cowell), d'une facture compacte et concise. Cette pièce est à ranger parmi les plus radicales du compositeur. Ses cinq parties – 1, 2 et 3 plutôt calmes ; 2 et 4 animées – regorgent de multiples superpositions verticales en contrepoint dissonant, typiques des œuvres de la maturité. Sans reprendre de mélodie reconnaissable, sa formulation thématique s'apparente aux chants populaires ainsi qu'aux hymnes. Son titre fait référence au poète et dramaturge victorien, à ses récits dramatiques et épiques complexes, aux références jugées obscures par les moins curieux. Leopold Stokowski en assura la création au Carnegie Hall, le 14 octobre 1956.Et c'est précisément dans cette page, assez proche des célèbres Central Park in the Dark et The Unanswered Question, que la direction de Michael Stern fait florès.
La partie médiane de cette gravure nous fait entendre les Ragtime Dances. Dans la dernière décennie du XIXe siècle, attentif aux productions populaires, Ives ne peut manquer la mode du ragtime issu de la musique noire. Cette musique lui inspire une douzaine d'œuvres pour piano, dont certaines seront orchestrées. Set of a Four Ragtime Dances for Theatre Orchestra (1899-1904) associe de façon originale mélodie spirituelle (Bringing in the Sheaves, Happy Day) et danse profane. Cette version fait glisser astucieusement l'Amérique d'Ives sur le Paris d'Erik Satie, celui de Parade et d'Entracte.
HK