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Chroniques
Charles Gounod
La nonne sanglante
Recommandé par Pauline Viardot – mezzo à la tessiture longue, qui reçut de lui plus de cent cinquante lettres [lire notre critique de leur correspondance] –, le jeune Charles Gounod (1818-1893) est accueilli à bras ouverts par Émile Augier, dramaturge aguichant une bourgeoisie ennemie des excès, et Nestor Roqueplan, directeur de l’Opéra de Paris dont la gestion est désastreuse. Les trois actes de Sapho (1851) naissent de ces rencontres, bientôt suivis par le deuxième ouvrage lyrique du trentenaire, en cinq actes cette fois, sur un livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne. Il s’agit de La nonne sanglante, inspiré par une légende médiévale, dont on trouve une trace plus récente dans le célèbre roman de Matthew Gregory Lewis, The Monk (Le moine, 1796).
Après une année de répétitions contrariée, l’œuvre est présentée salle Le Peletier, lieu d’éclosion du Grand opéra (1820-1870), le 18 octobre 1854. Elle disparait de l’affiche après onze représentations, Edmond Crosnier, nouveau directeur de l’institution, ayant déclaré qu’il ne laisserait pas jouer plus longtemps une « pareille ordure ». Cette Genèse est rapportée dans Mémoires d’un artiste par Gounod lui-même, lequel regrette la courte carrière d’un opus qui, pourtant, remplissait les caisses :
« Je ne sais si La nonne sanglante était susceptible d’un succès durable ; je ne le pense pas : non que ce fût une œuvre sans effet (il y en avait quelques-uns de saisissants) ; mais le sujet était trop uniformément sombre ; il avait, en outre, l’inconvénient d’être plus qu’imaginaire, plus qu’invraisemblable : il était en dehors du possible, il reposait sur une situation purement fantastique, sans réalité, et par conséquent sans intérêt dramatique, l’intérêt étant impossible en dehors du vrai ou, tout au moins, du vraisemblable » (Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2018) [lire notre critique de l’ouvrage].
Selon David Bobée, en charge de la production qui associait l’Opéra Comique au Palazzetto Bru Zane, en juin 2018, l’échec vient aussi que La nonne sanglante apparaissait trop tard – ou au mauvais endroit –, du fait de son romantisme gothique. Pour l’Ouverture, le metteur en scène favorise des tableaux brutaux peints sans violence, à l’aide de ralentis chorégraphiés. Par la suite, les chanteurs en costumes sombres et contemporains, signés Alain Blanchot, évoluent dans un univers obscur, mélange de bois brûlé et de pluie de cendres, où luisent malgré tout carrelages et néons. Conçu avec Aurélie Lemaignen, ce monochrome noir est, pour Bobée, « un espace mental où jouer et projeter les fantasmes et les hantises ».
Les soprani convoquées sont Vannina Santoni (Agnès), Olivia Doray (Anna) et Jodie Devos (Arthur), dont on connait bien l’éclat vocal [lire notre chronique du 27 septembre 2019 et du CD Offenbach]. Marion Lebègue incarne le rôle-titre avec une fiable sonorité. Autour de Michael Spyres (Rodolphe) aux aigus vaillants autant que délicats, les ténors Enguerrand De Hys (Fritz, Veilleur de nuit) et Pierre-Antoine Chaumien (Arnold) ne déméritent pas. Jérôme Boutillier (Luddorf) et Vincent Eveno (Théobald) défendent l’honneur des barytons tandis que les basses sont représentées avec talent par Luc-Bertin-Hugault (Moldaw), Julien Neyer (Norberg) et, bien sûr, Jean Teitgen (Pierre l’Ermite), au style parfait.
De même que l’époque moderne réduit à quelques dizaines les centaines de costumes de la production d’origine, Laurence Equilbey opte pour aérer la partition – un ballet ici allégé, un air à boire supprimé là… À la tête du chœur Accentus et d’Insula Orchestra, la cheffe réalise un travail ciselé et nuancé qui révèle une partition intéressante dominée par la finesse et l’élégance. Bravo maestra !
LB