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Chroniques
Camille Saint-Saëns
Trios Op.18 n°1 – Op.92 n°2
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'opéra est le genre favori des compositeurs français et de l'opinion publique. Dans ce climat lyricophile, Saint-Saëns, Lalo, Onslow et Reber font figure d'exception en écrivant des œuvres de musique de chambre. En février 1871, avec Jules Massenet, César Franck et Henri Duparc, Camille Saint-Saëns fonde la Société Nationale de Musique pour défendre la création instrumentale française à une époque où les rares sociétés de musique de chambre ne jurent que par Beethoven, Mozart, Haydn et Mendelssohn. Cette association dont la devise est Ars Gallica sera à l'origine d'une nombreuse production de tous les compositeurs français de cette période, et Saint-Saëns donne l'exemple en se consacrant abondamment à la musique de chambre. Ce genre occupe, dans son œuvre, une place d'importance puisqu'on dénombre une cinquantaine de partitions entre la Sonate pour violon n°1 composée à l'âge de sept ans jusqu'aux trois sonates testamentaires pour instruments à vents de 1921.
La composition du Trio pour violon, violoncelle et piano Op.18 n°1 remonte à l'année 1864. En 1985, le musicologue allemand Ekkehart Kroher constatait que « l'oubli d'un tel chef d'œuvre [n'était] certainement pas à l'honneur de notre époque ». On ne peut que le rejoindre sur ce point tant cette partition au ton jeune et enthousiaste apparaît comme l'un des sommets de la production du compositeur. Écrit en quatre mouvements, ce trio débute par un thème dansant qui circule entre les instruments. À un Andante très rhapsodique répond un Scherzo-presto enjoué. L'Allegro final développe un discours d'une grande cohérence qui magnifie le dialogue entre les instruments. Cette partition, qui allie rigueur de la construction et hauteur de l'inspiration, influencerait Ravel qui se souviendra de cette œuvre lors de l'écriture de son propre Trio à cordes (1915).
Le Trio Op.92 n°2, écrit en 1892, est d'un tout autre ton. Ses cinq mouvements, d'une structure particulièrement élaborée, proposent des climats fort différents. À un premier mouvement très contrôlé, s'oppose un Allegro virtuose mais au lyrisme plutôt sombre. Au ténébreux et douloureux Andante succède un délicat Gracioso, poco allegro qui évoque une valse dans le style de Chopin. Un Allegro bien construit clôt cette réalisation.
Depuis quelques temps, on observe une redécouverte discographique de la musique de Saint-Saëns. Ce n'est que justice tant l'image d'un vieux conservateur peu aimable ne correspond pas à la richesse de l'art d'un homme qui n'hésitait pas à bouleverser les structures et à prendre le public à rebrousse-poil. Ainsi, il notait à propos de son second trio : « on a le droit d'écrire des choses qui se puissent comprendre avant la vingtième édition ». Le Trio Wanderer, que l'on ne présente plus, parvient à se hisser au sommet d'une discographie maigre mais de qualité, jusqu'ici dominée par la prestation du Trio Joachim (chez Naxos). Après un album Chostakovitch amèrement décevant chez le même éditeur, l'ensemble français renoue avec ses qualités : engagement viscéral, technique irréprochable et sonorité légère mais tranchante.
PJT