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Chroniques
Bohuslav Martinů
œuvres pour orchestre
En introduction à son admirable notice rédigée pour ce CD, Harry Halbreich précise que Bohuslav Martinů (1890-1959) « est le quatrième grand classique de la musique nationale tchèque, après Bedřich Smetana (1824-1884), Antonín Dvořák (1841-1904) et Leoš Janáček (1854-1928) ». En fait, il en est le septième, car dans cette énumération il serait injuste de passer sous silence des compositeurs tels que Zdeněk Fibich (1850-1900), Josef Suk (1874-1935) et Vítězslav Novák (1870-1949), le premier de la génération de Smetana et Dvořák, les deux derniers assurant le lien avec Martinů.
Au disque, la musique tchèque fut longtemps l'apanage de musiciens tchèques : dès les années trente, Václav Talich grava pour His Master's Voice des œuvres de Smetana, Dvořák, Suk, Novák, ces compositeurs qui occupèrent pour lui une place de choix chez Supraphon. Mais, curieusement, le grand chef slave n'a apparemment pas enregistré Martinů, alors qu'il a laissé des témoignages de Janáček. Pour Martinů, il faudra compter sur Rafael Kubelík, Karel Ančerl, Martin Turnovský et Václav Neumann, ce dernier signant une première et superbe intégrale des six Symphonies du compositeur morave, avec cette phalange d'élite qu'est la Philharmonie Tchèque.
En dehors de la République Tchèque, Smetana et Dvořák ont été les tout premiers à être reconnus, joués et enregistrés au niveau international. Au niveau du disque, cette reconnaissance mondiale est venue plus tard pour Martinů, et ce n'est que récemment, grâce à l'essor du CD, que nous avons pu disposer d'autres intégrales non tchèques des Symphonies : Neeme Järvi et l'Orchestre Symphonique de Bamberg (BIS), Bryden Thomson dirigeant l'Orchestre Royal National d'Écosse (Chandos), et Arthur Fagen à la tête de l'Orchestre Symphonique National d'Ukraine (Naxos).
Hormis tout cela, il est bon de pouvoir disposer de nouvelles interprétations de l'une ou l'autre Symphonie, surtout lorsque, dans le cas actuel, l'Orchestre National de Belgique, sous la direction de son prestigieux chef actuel, l'Autrichien Walter Weller, signe très probablement la version de référence de la Symphonie n°4 (1945), servie de plus par une prise de son éblouissante. Cette œuvre au lyrisme rayonnant et d'une plénitude lumineuse constitue l'apogée des six Symphonies composées entre 1942 et 1953, vaste couronnement de la période américaine du compositeur dont elle domine toute la production orchestrale.
La partition est en quatre mouvements dont les sommets sont d'abord le Scherzo indiqué Allegro vivo, sorte de marche inexorable aux rythmes complexes rappelant Roussel, le maître de Martinů, suivi d'un Trio à la rêverie lyrique pastorale faisant écho à celle du premier mouvement, interrompue par la reprise da capo du Scherzo ; ensuite – et surtout ! – le sublime Largo, véritable quête éperdue et flamboyante de l'expressivité lyrique et de la lumière, où l'on discerne l'influence du concerto grosso baroque ainsi que l'utilisation de la célèbre cadence morave, et dans lequel Walter Weller a rétabli, à juste titre, tout comme les deux versions de Martin Turnovský mais contrairement à Václav Neumann, quatre mesures d'une cadence piano – cordes présentes dans le manuscrit mais omises dans la partition imprimée. Cela, associé aux qualités superlatives de lyrisme et de fermeté rythmique de l'ONB, en fait aisément la version de référence actuelle, d'autant que les enregistrements de Martin Turnovský ne doivent plus être aisément disponibles.
Les trois Estampes (1958), dernière œuvre orchestrale de Martinů, témoignent de sa maîtrise d'écriture, toute de dépouillement, de délicatesse et de raffinement. La partition fut commandée par Robert Whitney pour son célèbre Orchestre de Louisville qui l'a d'ailleurs également enregistrée (First Edition FECD-0018).
Remontons à la période parisienne du musicien qui le vit entraîné dans le creuset foisonnant et fécond de l'avant-garde des années vingt. À mi-chemin de Stravinsky et du Honegger des trois Mouvements Symphoniques, Le Départ est un grand interlude orchestral de l'opéra Les Trois Souhaits ou Les vicissitudes de la vie (1929) mettant en scène le tournage d'un film. Il s'agit d'un mouvement symphonique bien typique de l'époque, avec son contrepoint complexe et dissonant, parfois polytonal, âpre en couleurs, riche en cuivres.
Dans ces deux pages, l'ONB et Walter Weller se montrent également incomparables en nous offrant des versions enthousiasmantes et définitives. Un chef de cette envergure nous rappelle et prolonge les temps glorieux où cet orchestre faisait l'admiration de compositeurs tels que Béla Bartók, et était dirigé par la crème des musiciens : Désiré Defauw, André Cluytens, André Vandernoot, Mendi Rodan, etc.
MT