Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
The turn of the screw | Le tour d’écrou

1 DVD FRA Musica (2012)
FRA 007
Benjamin Britten | The turn of the screw

Présenté le 14 septembre 1954 au Teatro La Fenice (Venise), The turn of the screw déconcerte la critique par un livret plein de mystère et de mort – en cela, rien de nouveau chez Britten si l’on songe au rôle-titre marginal de Peter Grimes (1945) [lire notre critique du DVD] –, mais aussi par la perversité d’un trouble jeu de séductions impliquant des enfants. Pour ces deux actes avec prologue que le compositeur dirigeraient au disque l’année suivant ses créations mondiale et londonienne (Sadler's Wells Opera), Myfanwy Piper s'est inspirée d'une célèbre nouvelle éponyme d’Henry James (1898) dont elle conserve quinze des vingt-quatre épisodes.

Il y a quelques années sortait un enregistrement d’une production présentée en 2006 au Glyndebourne Festival Opera [lire notre critique du CD]. Signée Jonathan Kent, la mise en scène reprise ensuite à l’été 2007 est enfin disponible au DVD grâce à un film réalisé en août 2011. Si Britten (1913-1976) gardait le souvenir d’une adaptation « inquiétante et sinistre » de la BBC, entendue en 1932, de ce qu’il nomme un « incroyable chef-d’œuvre », c’est Les innocents (1961), l’adaptation « sombre, audacieuse et troublante » du cinéaste Jack Clayton, qui impressionna l’homme de théâtre. Ne souhaitant pas faire de l’ouvrage « une simple histoire de fantômes victorienne », Kent situe l’action dans les candides années cinquante, décennie de son apparition dans une Angleterre qui connaît « les derniers soubresauts d’un système de classes inconditionnel » en même temps que l’enracinement des théories freudiennes.

D’emblée, le spectateur est happé par un univers intime et familier, après qu’un voyage en train des plus ingénieux a aidé à mesurer l’isolement du domaine de Bly. Une scénographie fluide permet ensuite de respecter la musique autant que d’entretenir l’aura fantastique de l’œuvre, à l’aide d’une scène tournante qui déplace seule le mobilier et d’une baie vitrée infiniment mobile qui caractérise les différents lieux (salon, serre ou lac) – « mince protection séparant les deux forces qui se disputent le contrôle de l’esprit de Miles ».

Mis à part Joanna Songi (Flora) et les musiciens du London Philharmonic Orchestra présents au disque, c’est une toute nouvelle distribution que nous découvrons aujourd’hui, à la voix et au jeu solides. Vaillant, stable et précis, Toby Spence incarne le paisible narrateur du prologue, entouré de reliques des protagonistes évoqués, avant de donner vie au glacial Quint. Miah Persson (La gouvernante), admirée dans un récent Rake’s progress [lire notre critique du DVD], enchante par sa clarté, sa souplesse et sa grâce hitchcockienne. Pour la défier, un simple regard plein d’aplomb suffit au jeune Thomas Parfitt (Miles), douze ans, impeccable dans un rôle qui appelle nuance et variété. Susan Bickley (Mrs Grose) et Giselle Allen (Misss Jessel) sont efficaces elles aussi.

Notre plaisir serait incomplet sans la lecture énergique et colorée de Jakub Hrůša – lequel salue une partition d’une grande limpidité où deux ou trois instruments suffisent à créer une atmosphère efficace ou un effet dramatique –, et la vision de deux documentaires complémentaires d’une dizaine de minutes chacun qui font retrouver non seulement certains concepteurs et interprètes analysant l’ouvrage et ses personnages, mais également la voix de Myfanwy Piper (en 1983). Ce titre est également disponible en disque Blu-ray (FRA 507).

LB