Chroniques

par michel tibbaut

archives Georges Tzipine
Coates – Chopin – Gershwin – Grieg – Joëguy – etc.

1 CD Hortus (2020)
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hommage à l’Orgue « Christie » du Gaumont-Palace !

Grâce soit rendue à Éric Cordé, organiste et historien de l’art, cheville ouvrière de cette superbe réalisation, parfaite dans chaque étape de son élaboration, depuis la collecte ardue et persévérante des soixante-dix-huit tours Odéon originaux jusqu’à la restauration sonore impeccable de François Terrazzoni, oreille très fine des Studios Parélies Audio Visuel. Ce CD glorifie un pan important de l’histoire discographique de la musique en France, plus précisément parisienne, à partir de l’intégrale des gravures Odéon en 1939 de deux Georges, Ghestem et Tzipine, respectivement organiste et violoniste-chef d’orchestre. Toutefois la vedette incombe à ce monument historique qu’est l’Orgue Christie du Gaumont-Palace dont Georges Ghestem (1903-1978) sut extraire les sonorités les plus raffinées avec un goût impeccable.

L’Orgue de cinéma fut construit en 1930 par la firme anglaise Hill, Norman and Beard, mais porte le nom de son financier, Sir John Christie, fondateur de la légendaire Glyndebourne Opera House et du non moins célèbre Glyndebourne Festival Opera. L’instrument fut installé en 1932 dans la salle du Gaumont-Palace à Paris, occupant l’emplacement de l’ancien Hippodrome de Montmartre. Depuis cette date, Odéon grava une multitude de disques, d’abord avec l’organiste Tommy Desserre (consacrés essentiellement à des chansons et airs de l’époque, mais qu’il serait toutefois opportun de rééditer en CD), puis ceux de 1939 dévolus au duo Ghestem-Tzipine sous rubrique : dernier sursaut de griserie sonore dinsouciance apparente avant la catastrophe mondiale… En 1973, le Gaumont-Palace fut détruitdans l’indifférence générale. En 1976, son orgue Christie, entre temps miraculeusement sauvegardé par Alain Villain et restauré, fut mis aux enchères, acquis par la municipalité de Nogent-sur-Marne et remonté intégralement au Pavillon Baltard. Ce qui accroît à coup sûr l’intérêt historique de ces incunables.

Il s’agit bien des premières gravures orchestrales du grand chef Georges Tzipine (1907-1987) qui a tant fait ensuite pour propager la musique française de son temps, à commencer par celle de son ami Arthur Honegger (Suisse, mais Parisien de cœur). Mais ici, attention, puristes s’abstenir ! Car qui oserait encore, de nos jours, interpréter un Boléro de Ravel raccourci à 5’35’’ pour les impératifs de durée du support, avec une petite formation aux sonorités quelque peu jazzy à la Paul Whiteman et où apparaît soudain l’orgue de cinéma, avec tremblant caractéristique ? Éric Cordé, dans son admirable notice d’accompagnement, imagine l’éventuelle colère de Ravel… Qui oserait jouer avec cette sonorité si suave du jeune Tzipine, superbe violoniste, la pauvre Étude en mi majeur Op.10 n°3 de Chopin, affublée traditionnellement, pour la cause, du surnom Tristesse ? En revanche, quelle pure merveille que cette première version française de Rhapsody in Blue de Gershwin dans l’habituelle transcription de Ferde Grofé (1892-1972) où Raoul Gola – il jouera le rôle d’un pianiste dans La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966) ! – rivalise de swing et de virtuosité avec ses compagnons Ghestem et Tzipine, concurrençant aisément la fameuse version historique de Gershwin et Paul Whiteman… Là, Gershwin lui-même aurait certainement été enchanté !

Le reste du programme est à l’avenant, mélangeant musique légère et celle dite sérieuse, avec des pages successives d’Oscar Straus, Guy Lafarge, Rimski-Korsakov, Schubert, Eric Coates, Planquette, Offenbach, Paul Misraki, Joëguy, Grieg, Ferenc Vecsey. Faut-il rappeler que ces disques d’une époque – hélas ! – révolue sont le témoignage de la fort louable volonté de faire connaître et apprécier la musique de qualité ou dite classique au public populaire du septième art, au moment où les longues séances comportant les actualités, un ou plusieurs court-métrages, puis le film principal, permettaient des entractes propices à ces mini-concerts. En outre, quand ces diverses pages sont interprétées par des musiciens aussi talentueux et exigeants que Georges Tzipine et ses partenaires, nous ne pouvons que nous réjouir… Justement, ne serait-il pas enfin plus que temps d’envisager, chez Warner Classics, une réédition en CD de tous les incomparables enregistrements orchestraux Pathé et Columbia de l’artiste avant qu’ils ne se détériorent ? Et il y a du pain sur la planche – avec les compositeurs du Groupe des Six (dont Honegger) et, par ordre chronologique de génération, Gossec, Vogel, Lesueur, Boieldieu, Auber, Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Roussel, Schmitt, Ravel, Aubert, Rivier, Loucheur, Barraud, Thiriet, Françaix, Damase, etc.

Pour terminer, signalons une petite imprécision dans la notice du CD (par ailleurs exhaustive) où l’on peut lire « [Tzipine] est à ce jour le seul chef à avoir enregistré la Symphonie en la mineur pour orchestre de Louis Vierne » : il n’en est rien, puisque cet opus 24 fut ultérieurement enregistrée par l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège sous la direction de Pierre Bartholomée (Timpani, 1996).

MT