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Anne-Marie Réby
les festivals aux Serres d'auteuil
Après avoir été productrice à France Musique, Anne-Marie Réby s’est lancée avec bonheur dans la production de concerts, via deux festivals qu’elle a créé au jardin des Serres d’Auteuil, de part et d’autre de l’été. Avec bienveillance et en toute connaissance des difficultés qu’il lui faut affronter, elle dirige ici des programmes passionnants qui confrontent la musique d’hier aux compositeurs d’aujourd’hui. Accompagnée du chant des oiseaux, elle nous fait part de ses choix et des passions qui la guide et nous présente sa prochaine collection de printemps.
Comment vous est venue l'idée d'occuper le pavillon des azalées des Serres d'Auteuil par des concerts, au tout début et à la fin de l'été ?
Le Jardin des Serres d'Auteuil est un endroit que je connais bien. Enfant, j'habitais Boulogne. Mes parents n'ayant pas de voiture, je venais ici me promener tous les dimanches. Lorsque je travaillais pour France Musique, j'eus pour assistante une fille formidable qui, après son stage à la radio, fut nommée aux Serres d'Auteuil, à la Communication. Elle m'a appelée pour me dire « il y a une serre vide durant l'été : je suis sûre que vous pourriez y faire de la musique ». Je suis venue ; j'ai retrouvé le jardin avec émotion, je l'avoue. Avec quelques amis musiciens, nous avons fait des essais acoustiques qui nous ont persuadés qu'en effet l’on pouvait imaginer quelque chose dans le pavillon des azalées. L'idée était intéressante d'essayer de monter une série musicale pour fin août, début septembre, au départ exclusivement axée sur les jeunes musiciens – soit des musiciens vraiment très jeunes non encore connus du public, ou des jeunes plus connus qui parraineraient la série. Il y a deux ans, les interprètes eux-mêmes et le public ont suggéré une série de printemps que j'ai souhaitée ouverte à des artistes « sans limite d'âge », si je puis dire. Les Nouveaux Solistes a donc été créé en 2000 et Le Printemps des Serres d'Auteuil il y a deux ans.
Y a-t-il des particularités acoustiques dans un lieu comme celui-ci ?
Lorsqu'elle est vide de toute plante, la serre sonne comme une petite église de campagne, c'est-à-dire avec une réverbération assez importante. Le son tourne beaucoup. En mettant de la moquette sur les trois quarts du sol, on créé une absorption et ça sonne nettement mieux.
Ce lieu a-t-il généré vos craintes ?... par rapport à la fréquentation du public, aux dates choisies, etc. ? J'imagine qu'il y avait un certain nombre de contraintes physiques, logistiques, peut-être même administratives…
La première contrainte est le temps. Donner ici des concerts est toujours risqué. Lorsqu'il fait beau ou gris, tout va bien, mais dès qu'il pleut, c'est plus difficile : si la pluie est importante, elle fait du bruit en tombant sur la verrière. De plus, au niveau de l'estrade, la verrière n'est pas étanche, si bien que le pianiste reçoit des gouttes d'eau ! Je croise les doigts, ce n'est arrivé qu'une seule fois en quatre ans, mises à part quelques répétitions sous la pluie.
Par ailleurs, le jardin est magnifique, mais si le temps est mauvais, c'est beaucoup moins agréable pour les gens qui, en général, viennent de bonne heure, s'installent pour lire au soleil ou à l'ombre après avoir pris leur billet. Le beau fixe donne au lieu un plaisant petit air de festival d'été. Il y a également d'énormes craintes en ce qui concerne le public, bien sûr : il n'y avait jamais eu de musique en cet endroit, et de plus, ayant très peu de moyens, je n'avais pas engagé d'attachée de presse dès le début, si bien que la première année nous avons fait des concerts avec soixante ou soixante-dix personnes dans la serre. C'était plutôt dur. Pour la seconde édition, je me suis pourvue d’une attachée de presse qui fit un tel travail que les gens ont pris l'habitude de cette série. Nous avons d'abord à faire à un public de proximité, puis à des mélomanes toujours à l'affût des manifestations musicales – je retrouve, par exemple, beaucoup de gens qui venaient à Radio France pour mon émission –, il y a, bien sûr, des gens de passage. Aujourd'hui, certains concerts ont fait salle comble, on a même du parfois refuser du monde. On peut dire que le pari est gagné d'avoir attiré des gens qui maintenant attendent cet évènement. Nous sommes dans le seizième arrondissement qui, comme chacun sait, n'est pas socialement défavorisé, mais l'est culturellement, puisqu’il ne compte pratiquement pas de théâtre, aucune salle de concerts, si ce n'est la Maison de Radio France, très excentrée du quartier. Si je reste suspendue à la météo pendant toute la période des festivals, les problèmes de public sont à peu près résolus, je crois. Le reste suit tant bien que mal… et l'on fait ce qu'il faut pour que ça marche.
Par sa spécificité, le lieu amène-t-il un public différent, avec des réactions peut-être inattendues ?
Curieusement, la plupart des gens qui viennent ne connaissent pas le jardin. Sur les deux mille personnes qui sont venues écouter des concerts l'année dernière, il y en avait peut-être cent qui connaissaient l'endroit auparavant. Donc, le public découvre un lieu qui l’étonne et, le plus souvent, il est séduit, puisqu'il revient. Ce qui me plait beaucoup, c'est que ces personnes connaissent peu la musique et viennent ici la découvrir. Je pense que le lieu y est pour quelque chose. Par exemple, il y a beaucoup de gens qui ne vont jamais eu concert pendant la saison, mais qui fréquentent les nôtres, souvent parce qu'ils pensent que le concert dans une salle parisienne est resté très conventionnel, qu'il y faut absolument être habillé comme ceci ou comme cela, que les enfants n'y sont pas les bienvenus parce qu'ils risqueraient d'être bruyants, etc. Ici, on s'habille comme on veut, on peut emmener ses enfant et s'ils dont un petit bruit, ce n'est pas une catastrophe. Bref, c'est beaucoup plus convivial. Souvent, les gens me disent être agréablement surpris de pouvoir entendre des musiciens de ce niveau dans des conditions décontractées. De plus, étant données les dimensions de la serre, la proximité avec les artistes, que l'on voit comme il est impossible dans une salle de deux milles places, est souvent fascinante.
Quels ont été les artistes de la première édition ? Comment cela s'est-il passé ? Est-ce que, dès les premiers temps, vous demandiez que chaque programme comprenne une œuvre contemporaine ?
C'est ma marotte ! J'ai toujours eu une curiosité et un goût pour la musique contemporaine. C'est absolument formidable de pouvoir côtoyer des créateurs. C'est aussi très bien de jouer Brahms ou Beethoven, bien sûr, mais l'idée que les gens peuvent se faire de la musique contemporaine est tellement fausse qu'il me semble urgent pour les organisateurs de concerts de s'impliquer dans la diffusion de la musique d'aujourd'hui. Sinon, c'est la mort des compositeurs. Depuis le départ, en 2000, mon cahier des charges prévoit une heure de musique sans entracte comprenant obligatoirement une œuvre contemporaine. La deuxième contrainte que je me suis imposée depuis le début, c'est le prix des places. Pour la première année, l'entrée coûtait trente francs, aujourd'hui, les places sont à cinq et huit euros. Je crois que, si l'on espère que le public de la musique classique se renouvelle, il est indispensable de faire des efforts tarifaires. Dans les salles de concerts, les tarifs restent assez élevés, et ce n'est pas toujours évident de payer des sommes folles pour aller écouter de la musique. Aux serres, les gens viennent – et en général ils reviennent ! Ils paient cinq ou huit euros : le risque n'est pas grand. Pour les enfants, les concerts sont gratuits ; or, le public vient souvent en famille. Nous avons parfois une quinzaine de petits assis par terre dans la serre quand il y a beaucoup de monde. C'est toujours très sympathique, car on voit que les gens sont intéressés, y compris par la découverte d’une musique qu'ils ne connaissent pas.
En ce qui concerne la contemporaine, c'est passionnant. Je demande que l'œuvre occupe dix à quinze minutes – le concert faisant une heure, il n'est pas question de faire plus. Les réactions sont encourageantes. À la sortie, des gens sont venus me dire « c'est incroyable, cette musique ! Jamais on ne serait allé écouter ça, parce qu'on n'aime pas la musique contemporaine ». En fait, la plupart du temps, ils ne la connaissent pas et n'ont qu'une mauvaise appréciation ou une idée fausse de ce qu’elle peut être. Et puis, la musique de notre temps est multiple. J'ai des goûts particuliers… il existe une musique contemporaine que je n'aimerais pas faire jouer aux serres d'Auteuil ; je le dis aux artistes et, en général, tout se passe pour le mieux. Par ailleurs, pour jouer cette musique, je voulais engager des interprètes qui n’étaient pas étiquetés dans ce domaine, c'est-à-dire des musiciens qui jouent du répertoire et qui sont tous, d'une manière ou d'une autre, intéressés par la création. Pour moi, ces artistes sont formidables, parce qu'ils travaillent une pièce de Boulez ou de Stockhausen avec autant d'engagement qu'une sonate de Mozart ou de Schubert. Ils peuvent la transmettre au public qui soudain peut l'entendre. C'est extraordinaire, non ?!
Vous savez, je ne crois pas que les organisateurs de concerts puissent se cacher derrière les frais soit disant énormes qu'occasionnerait la musique contemporaine. Oui, il y a des frais, des droits SACEM, c'est vrai, c'est un peu plus cher que de faire jouer du répertoire, mais on est aussi là pour ça. Quant aux premiers artistes, il y avait Frederic Chiu qu’on retrouve cette année, Stéphanie-Marie Degand et Cédric Tiberghien qui ouvraient le festival avec une somptueuse sonate de Richard Strauss, Nicholas Angelich et François-Frédéric Guy qui tous deux ont donné un Klavierstück de Stockhausen, et aussi Roger Muraro, entre autre.
Certains artistes sont-ils devenus des fidèles des serres ?
Bien sûr ! Parfois, des interprètes me proposent un programme qu'ils aimeraient jouer ; d'autres fois, c'est moi qui imagine des programmes qui leur vont, du coup je ne me prive pas de les réinviter pour les entendre dans telle musique. C'est rarement le hasard, mais toujours une motivation artistique. Par exemple, Jean-Efflam Bavouzet, qui a fait l'intégrale de la musique pour piano de Ravel, le 21 juin dernier, reviendra l'année prochaine avec la Sonate n°1 de Boulez. Car l'édition 2005 sera un hommage à Pierre Boulez et à Luciano Berio, pour leurs quatre-vingts ans (bien que Berio ne soit malheureusement plus avec nous aujourd'hui) –vous êtes le premier à qui je le dis, c'est donc un scoop ! Aux serres, Jean-Efflam a joué les Notations ; je savais qu'il souhaitait jouer cette redoutable sonate : je lui ai demandé s'il pensait être prêt pour 2005 et il a dit oui. Il y a tout un jeu de programmes que je peux imaginer en correspondance avec certains artistes. C'est très excitant, même si je connais mes limites : la serre contient deux-cent cinquante personnes, on ne peut pas aller au-delà, malheureusement parfois, elle n'est pas une véritable salle de concert, on y est assis sur des bancs de jardin, ce qui n'est pas très confortable, etc.
L'édition 2004 approche (premier concert, le 17 juin). Sur quels évènements souhaiteriez-vous attirer l’attention des lecteurs d’Anaclase ?
J'aimerais attirer votre attention sur le récital qu’Andrei Vieru donnera le 20 juin au Printemps des Serres d'Auteuil, parce qu’Andrei est un musicien extrêmement discret qui, je le crois, a une sorte de folie musicale qui n'est précisément pas au goût du jour. C'est un être absolument exceptionnel, un mathématicien extraordinaire qui a inventé des théorèmes, qui continue à faire autant de maths que de piano. Il reste assez mal connu, bien qu'il ait été en vogue il y a quelques années lorsqu'il a commencé à enregistrer. Il n'a plus d'agent, il est assez particulier. Humainement c'est quelqu'un de formidable, quelqu'un qui travaille beaucoup dans sa tête. Je crois qu'il fait assez peu de piano, en fait, et qui a une grande intelligence du jeu. Il prépare toujours des programmes monstrueux ! Ici, il jouera des extraits du Wohltemperierte Klavier ; il ne va pas tout jouer, mais il aurait pu le faire, et enchaîner avec Die Kunst der Fuge pour donner les Goldberg en bis, par exemple ! J'ai souhaité l'inviter cette année car il ne me semble pas assez mis en valeur actuellement. On peut dire un mot également sur Philippe Cassard – on ne l’entend pas assez non plus, en ce moment ; il joue beaucoup en Angleterre, il est très prisé par nos amis d’outre-Manche, mais chez nous on le délaisse un peu. Il donnera un magnifique programme : des pièces de Debussy, le Prélude n°3 de Dutilleux et l'Humoresque de Schumann. Dans le cadre des Nouveaux Solistes aux Serres d'Auteuil, il y aura toujours ces très jeunes musiciens qui appartiennent à la Fondation du groupe populaire, des jeunes qui ont un potentiel formidable, que je suis depuis quelques années et qu'on retrouvera sûrement en haut de l'affiche dans dix ans.
Comme je le fais toujours, j'ai souhaité inviter le lauréat du concours Olivier Messiaen de novembre dernier. Il s’agit cette fois de Chuan Qin, un artiste chinois de vingt cinq ans. J'ai demandé à Katia Skanavi, qui fait une grande carrière déjà, de jouer pour la soirée d'ouverture (27 août) et j'ai tenu à programmer Philippe Giusiano qui lui aussi devient rare sur la scène française depuis son installation à Vilnius : il donnera Chopin, bien sûr, pour ses « fans », mais aussi Liszt et Andrejevas, un jeune compositeur lituanien qu'il nous fera découvrir.
Je me souviens d'un récital de septembre dernier où le public était venu si nombreux que la serre ne pouvait l'accueillir. Les fenêtres avaient été ouvertes pour permettre aux visiteurs d'entendre la musique dans le jardin, ce qui créait une ambiance très particulière. C'est arrivé d'autres fois ?
Oui, c’est le cas une ou deux fois par saison. Je ne sais pas par quel miracle. C'est à la fois le fruit du travail de l'attachée de presse, de la publicité, de l'actualité du musicien – s'il vient de sortir un disque au moment du concert, les gens veulent l'entendre. Certains artistes ont un public de fidèles à chacun de leurs concerts, où qu'ils jouent dans Paris. C'est arrivé il y a deux ans pour Claire-Marie Le Guay qui sortait un disque, c'est arrivé l'an passé pour Cédric Tiberghien [lire notre chronique du 7 septembre 2003], ou encore pour Nicholas Angelich et François-Frédéric Guy... On ne le sait pas d'avance. On pourrait le deviner à la notoriété des interprètes : on pense généralement qu'il est plus facile de remplir une salle quand le musicien est un peu plus connu, mais ce n'est pas forcément le cas. Il y a aussi des gens connus qui ne sont plus « à la mode » à tel moment, sans qu’on sache pourquoi. J'aime bien les remettre sur le devant de la scène.
Car c’est vous, votre personnalité et votre parcours qui impriment une identité aux festivals…
Il me semble que toutes les entreprises artistiques initiées par une personne sont inévitablement le reflet de son identité, qu'il s'agisse de grands évènements comme le Festival international de piano de La Roque d'Anthéron qui ressemble bien à René Martin, que ce soit le mien, à une échelle nettement plus modeste. Il est vrai que lorsque je travaillais pour France Musique, j'ai présenté de nombreuses émissions de musique vivante qui duraient une heure et dans lesquelles j'incitais les musiciens à jouer de la musique contemporaine, ce qui n'a rien d'évident lorsqu'il s'agit d'une quotidienne. Ici, je n'ai pas de compromis à faire. Je ne fais aucune programmation commerciale ou obligée par qui que ce soit, ni par un mécène ni par un musicien. Nous travaillons en bonne intelligence. J'aiguille beaucoup les jeunes musiciens dans leurs menus. Les autres, je n'ai pas besoin de le faire, sauf parfois pour l'œuvre d’aujourd’hui. La manière d'accueillir les gens, de recevoir les artistes, est aussi le reflet de ma personnalité, j'imagine. C'est une constatation valable pour chaque organisateur de concerts qui s'implique vraiment dans ce qu'il fait et qui a le feu sacré. Aujourd'hui, tout a l'air d'aller bien : les musiciens jouent magnifiquement, il fait beau, les serres sont charmantes ; mais dans le courant de l'année, c'est parfois décourageant. Comme tout le monde, je suis à la recherche de partenaires – il est impensable de croire pouvoir payer les musiciens avec les entrées, évidemment. Ce n'est pas toujours rose, mais, in fine, c'est vraiment ce que j'ai envie de faire maintenant.