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Chroniques
Anatoli Liadov
musique chorale et arrangements de chants folkloriques
C’est peu de dire que le mélomane de l’occident européen connaît mal la musique d’Anatoli Liadov ! Ce n’est guère à l’aide de quelques tabatières données en bis à la fin des récitals de ses pianistes favoris qu’il sortira de l’ignorance… Fort heureusement, à défaut d’audace de la part des décideurs à la tête des salles de concert et de celle des interprètes eux-mêmes, le disque, comme toujours ce fut le cas, amène la bonne parole. Décrit par son maître Rimski-Korsakov en être timide et en musicien des plus sûrs, Liadov demeure aujourd’hui dans les oreilles via quelques préludes pour piano et trois de ses six poèmes symphoniques – Baba Yaga (1904), Le Lac enchanté (1909) et Kikimora (1909), joués de temps à autre, quand restent parfaitement absents des programmes Des ancien temps (1890), De l’Apocalypse (1912) et Nenie (1914). On lui doit environ quatre-vingts œuvres, toutefois, principalement des miniatures. À l’hiver 2020, le Chœur de Chambre de l’Académie de Musique Russe et son jeune chef Ivan Nikiforchine (né à Moscou en 1995) enregistraient sa musique chorale, constituée de partitions originales ainsi que d’arrangements de chansons folkloriques russes.
Le présent CD est la première anthologie de la contribution chorale de Liadov. D’emblées trois pôles s’y distinguent, qui parfois se marient : l’inspiration folklorique, à travers des arrangements d’airs paysans, mais aussi des extensions plus personnelles suscitées par ce répertoire ; la musique sacrée, puisant tel quel dans le corpus préexistant ou créant véritablement des versions composées ; enfin, des réalisations que l’on pourrait dire plus mondaines, hymnes de circonstances et chœurs de théâtre, les uns pour accompagner des représentations scéniques et les autres pour souligner quelques festivités. Toutefois, les deux premiers domaines sont loin d’être imperméables, puisque la musique populaire a développé sa voie selon les modèles véhiculés par celle d’église, de même que le chant liturgique orthodoxe a parfois trouvé ses modes dans l’héritage d’une Russie ancienne et païenne.
C’est le cas de deux opus, le premier pour voix d’hommes et l’autre pour chœur mixte. Tiré de mythes préchrétiens, Le livre de la colombe identifiera plus tard l’oiseau cité au Saint Esprit. En une inflexion sensiblement nuancée, une mélodie simple s’y répète, délicatement phrasée. Dans le calendrier populaire russe, Avsen désigne la veille du Nouvel An. Le bref Oh, Avsen emprunte aux airs de Noël un ancestral élan de joie pure. Le domaine folklorique a toujours intéressé le compositeur, de sorte qu’il adapta près de deux centaines de chansons (pour chœur a cappella, ensemble vocal, chœur et orchestre, voix et piano ou encore pour orchestre), comme le renseigne très précisément Igor Prokhorov qui commente : « ses arrangements n’ont rien de décoratif, car le but de Liadov était de révéler exclusivement l’essentiel du motif folklorique : ainsi son recours à diverses techniques polyphoniques reflète-t-il l’usage traditionnel des voix d’accompagnement, qui effectue le passage logique entre l’introduction solistique et le répons polyphonique » (notice du CD – notre traduction). On goûte la fraîche expressivité de ces pages, dont beaucoup furent conçues pour le chœur féminin. La berceuse Hushaby se détache telle une exception dans ce paysage plus uni qui invite à parcourir la vie sociale des campagnes, avec ses danses et ses rondes de mariage, ses déplorations amoureuses, ses airs de travail et autres rituels.
Au chapitre mondain évoqué plus haut, il faut compter de nombreux hommages, outre des pièces destinées à des célébrations particulières. Ainsi de Gloire à Vladimir Stassov 2 janvier 1894 composé pour le soixante-dixième anniversaire du fameux critique qui orienta nombre de ses contemporains, ainsi que de la brève Louange à Vladimir Stassov qui salue la fête de Vladimir. Deux pages circonstancielles font entendre le pianiste Dmitri Korostelyov. En à peine vingt-cinq secondes, le fugato de La goutte tente d’incarner le trajet de l’eau. À la mémoire du sculpteur russe d’origine lituanienne Mark Antokolski, Liadov écrit en 1902 une cantate qui intègre une chanson juive, en écho à la confession de l’artiste ; le chœur est ici donné avec accompagnement pianistique. On lui préfère grandement l’Hymne à Anton Rubinstein, composé la même année pour l’inauguration de la statue du musicien au conservatoire de Saint-Pétersbourg, ou encore le petit chœur Gloire à Nikolaï Rimski-Korsakov (1901), révisé avec une partie de trompette ici tenue par Xenia Abaïmova, Gloire à Evguénia Zbrueva (1913).
Le théâtre fait son incursion à travers deux œuvres. Avec la première, nous sommes à la source même de l’activité de compositeur pour chœur d’Anatoli Liadov, puisque c’est en 1878, à l’âge de vingt-trois ans, qu’il s’est attelé à la Scène finale de « La fiancée de Messine », cantate pour baryton, chœur et piano d’après la tragédie de Schiller (1803), avec laquelle le jeune homme obtint son diplôme et força l’admiration de Rimski-Korsakov. Le timbre riche et l’évidence du chant de Kirill Panfilov en servent magnifiquement le Requiem. Vingt-huit ans plus tard, c’est sur la pièce de Maeterlinck, Sœur Béatrice (1901), que se penche le musicien russe qui en écrit la musique de scène commandée par Meyerhold en vue de la première du 22 novembre 1906. Il s’agit de trois chœurs latins imaginés dans un souvenir du Seicento romain, dont l’un présente une partie d’harmonium jouée à quatre mains – ici Alexeï Chevtchenko et Dmitri Korostelyov. Finissons cette chronique par la musique sacrée, représentée par trois pages, dont deux tirées de l’opus 61, Obikhod (1909), dédié au compositeur et chef de chœur Evstafiy Azeev. La pureté d’exécution des Laudes de Saint Joasaph de Belgorod (1910) convie à saluer la belle qualité de cette gravure qui offre une plongée plus qu’appréciable dans l’univers de Liadov.
BB