Recherche
Chroniques
Zoraida di Granata | Zoraïde de Grenade
opéra de Gaetano Donizetti
Montée en coproduction avec le Wexford Festival, Zoraida di Granata est reprise par le Festival Donizetti Opera de Bergame, mais dans sa version révisée de 1824 où le rôle d'Abenamet est réécrit pour un contralto, contrairement à l’originale créée en 1822 au Teatro Argentina de Rome, et jouéedans la ville irlandaise,où ce rôle était conçu pour un ténor.On peut d’ailleurs rappeler que c’est un contralto qui prit la place, pour la première romaine, du ténor décédé soudainement.
Les deux partitions diffèrent surtout pour ce qui concerne justement le rôle d'Abenamet, bien plus développé, le personnage ayant en particulier le mot de la fin, avec un rondo conclusif digne de plusieurs opéras rossiniens (par exemple La Cenerentola, ou La donna del lago). Sixième ouvrage dans la vaste liste des soixante-et-onze titres écrits par le compositeur, on entend indéniablement l’influence de Rossini dans Zoraida di Granata, dans l’orchestration, les lignes mélodiques et surtout de nombreux airs et duos structurés en trois parties, le plus souvent une exposition, une séquence lente en cantilène, puis une cabalette plutôt fleurie. Les échos du cygne de Pesaro ne sont pas rares, avec d’ailleurs une citation, voulue ou pas, du Barbiere di Siviglia, quand on entend le début de l’air d’entrée de Rosina, Una voce poco fa.
La distribution vocale réunie à Bergame est nettement supérieure à celle entendue à Wexford l’an dernier [lire notre chronique du 3 novembre 2023], ce qui a l’avantage de transformer une soirée irlandaise que nous avions jugé un peu longue en une représentation bergamasque bien plus passionnante. Il ne s’agit pas tant ici de la partie musicale, confiée à Gli Originali, formation historiquement informée, comme son nom l’indique. Dirigés par Alberto Zanardi, les musiciens forment un ensemble qui a l’avantage de maintenir un équilibre serein avec le plateau, dans un son moins brillant et plus rond, les instrumentistes exposant toutefois davantage leurs éventuelles scories techniques, ainsi qu’un déficit de fondu sonore collectif. Ceci est particulièrement vrai dans les parties purement musicales, alors que l’on apprécie sans réserve leur accompagnement des voix.
Dans le rôle-titre de Zoraida, Zuzana Marková démontre une bonne maîtrise de la technique belcantiste, suffisamment souple pour les passages d’agilité, précise pour les notes piquées, puissante aussi pour certains aigus enflés. L’expressivité du chant du soprano n’est en revanche pas toujours à son maximum, sa très longue scène du second acte, Rose, che un dì spiegaste, la montrant à son meilleur, un chant mélancolique et aérien accompagné subtilement par de très rares instruments à cordes [lire nos chroniques de La traviata et d’I puritani]. En Abenamet, Cecilia Molinari possède une virtuosité encore supérieure, se jouant de l’écriture donizettienne extrêmement relevée en difficultés. Timbre agréable, très engagé scéniquement, le mezzo conserve tout du long une musicalité exemplaire, déroule avec panache des vocalises bien détachées et gère les larges sauts d’intervalles [lire nos chroniques du Siège de Corinthe, de L’Italiana in Algeri, La clemenza di Tito, Demetrio e Polibio et Serse]. On souhaiterait sans doute un tout petit peu plus de volume pour ce rôle de guerrier, mais le format convient à la taille modeste du Teatro sociale, salle d’une très belle acoustique naturelle.
Rescapé des représentations irlandaises, on retrouve le ténor Konu Kim dans le rôle d’Almuzir, plutôt en meilleure forme qu’à Wexford. Le registre le plus aigu sonne, en effet, avec encore plus de métal et de mordant, les parties médiane et grave ayant tendance à se relâcher en précision d’intonation, tandis que la souplesse vocale reste limitée pour les parties fleuries. On remarque aussi la belle basse Valerio Morelli en Alì, jeune chanteur ayant fréquenté l’Accademia Rossiniana de Pesaro et élève également de la Bottega Donizetti à Bergame. Le timbre est d’une rare noblesse et le rôle bénéficie, dans cette version de 1824, d’un air séparé en début de second acte, Fior d’ogni bella (…) Sì, vi tradi la sorte, occasion pour lui de briller par sa souplesse et son grain vocal précieux. La distribution est complétée par le soprano assuré de Lilla Takács en Ines – son air Del destin la tirannia est très bien conduit –, ainsi que par le ténor Tuty Hernàndez en Almanzor. Le chœur masculin de l’Accademia Teatro alla Scala apporte lui aussi sa vaillante contribution.
On retrouve la mise en scène de Bruno Ravella, située clairement en temps de guerre, dans un bâtiment où subsistent quelques arcades sur le pourtour. Les vitraux colorés qui descendent des cintres, visibles seulement pendant les dernières secondes de la représentation, présentent à nouveau un fort contraste avec la grisaille qui précède, une manière d’illustrer l’heureux dénouement de cette pièce à sauvetage.
IF