Recherche
Chroniques
XV de c(h)œur
spectacle de Damien Robert
Si depuis le début de son mandat à la tête de l’Opéra national de Montpellier, en 2014, Valérie Chevalier investit les préoccupations sociales et sociétales contemporaines, cela ne se résume pas à une prise de conscience plus ou moins opportunément calquée sur une relecture du répertoire, assaisonnée de quelques actions culturelles. La directrice de la maison occitane, qu’elle entend ouvrir de manière multiple sur la métropole et au delà, n’a de cesse d’essayer des formats nouveaux, à la fois pour atteindre un autre public et pour inviter les fidèles à enrichir leur approche de l’univers lyrique, voire plus largement musical, sans hésiter à mêler la réflexion à une dimension ludique. Faisant ainsi pendant au spectacle Virilité.e.s, réglé en novembre dernier par Alicia Geugelin qui réunissait le chœur d’hommes de la maison dans une interrogation des figures de la masculinité sur fond de répertoire romantique, XV de c(h)œur met en scène les pupitres féminins des effectifs chorals de l’institution.
Dans un décor de café – lieu traditionnellement associé à la sociabilité masculine – dessiné par Thibault Sinay, Damien Robert déroule la vie d’un groupe de femmes, serveuses ou clientes, un jour de match de leur équipe favorite, l’une des sections féminines du Montpellier Hérault Rugby (MHR) ; elles s’identifient à leurs joueuses comme leurs homologues masculins. Sous les lumières de Mathieu Cabanes se déclinent les heures, jusqu’à la soirée de victoire. Mais cette habileté à tirer parti de la culture locale en ces terres de ballon rond – on compte effectivement quatre équipes de femmes dans l’association sportive MHR – qui permet aux membres du chœur d’investir un jeu d’acteurs généralement relégué au second plan, avec parfois quelques gaucheries timides dans une présence à l’avant de la scène inhabituelle pour ces voix, s’écrit sur une mise en valeur inventive de quelques pages du patrimoine médiéval de la région, tirées du Codex Montpellier, de la seconde moitié du XIIIe siècle, avec des pages de Francesco Landini (ca. 1335-1397) et du Marteau sans maître de Pierre Boulez.
Avec un ensemble d’instruments modernes – Elena Gabbrielli aux flûtes (en sol, basse et piccolo), le guitariste Ruben Mattia Santorsa, l’accordéoniste Luca Piovesan, l’altiste Avishai Chameides et Aya Suzuki aux percussions –, Jacopo Facchini s’affranchit de l’orthodoxie littérale de l’instrumentarium pour faire revivre, dans une séduisante ambivalence entre familiarité et étrangeté exotique, le croisement entre la dévotion mariale avec les motifs de l’amour courtois dans la polyphonie du Codex Montpellier à travers l’inspiration pastorale et savante de Landini, l’un des plus grand maîtres du trecento florentin, surnommé Francescus cecus, et quelques pièces du tournant des XIIIe et XIVe siècles. Loin de rompre le tissu dramatique et musical, calibré par la préparation attentive de Noëlle Gény, les trois numéros du Marteau sans maître de Boulez – Avant l’artisanat furieux, L’artisanat furieux avec les mélismes moirés de l’alto Alexandra Dauphin, Après l’artisanat furieux – ponctuent la décantation narrative au point de dessiccation de l’enthousiasme collectif dans quelque doute passager, avec une étonnante évidence où les harmonies de l’avant-garde s’anastomosent avec les fragrances du continuo médiéval. Au delà d’un propos dramaturgique modeste, le théâtre musical XV de c(h)œur constitue avant tout une belle et féconde réappropriation de répertoires que l’artifice de la chronologie historique sépare.
GC