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Chroniques
Xavier Sabata, contreténor
Dani Espasa dirige Vespres d’Arnadi
Un château du XIVe siècle, plusieurs fois remanié au fil du temps, situé dans un grand parc sylvestre à l’élégance irrésistible. Un carmel dont la bibliothèque, riche à l’origine, s’est agrandie à partir des années 1920, et où se laisse admirer un charmant cloître de verdure arborant une statuaire gothique. Un musée présentant des collections de verres, de céramiques et même quatre salles dédiées à l’histoire du vin. Enfin la création, il y a vingt-quatre ans, d’un festival de musique reposant exclusivement sur le mécénat privé (une cinquantaine de contributeurs, à l’heure actuelle). Ici chantèrent les grandes voix de ces années-là, dans la cour du château, pour commencer, puis sur la scène d’un vaste auditorium de plein air, vite exigé par le franc succès qui couronna tôt l’événement estival. Sous l’impulsion d’Oriol Aguilà, son directeur artistique, l’édition 2014 du Festival Castell Peralada propose une programmation diversifiée qui offre concert, opéra, ballet, récital, de genres et d’époques contrastés. Après une promenade dans les jardins, entrons dans l’Église du Carmel dont l’ocre-garance du fort beau plafond à caissons nous protègera de l’orage – un gentil parfum de tempête donne ainsi le ton à cette soirée intitulée Furioso…
Après une première carrière de comédien, des études de saxophone puis de chant à Barcelone et à Karlsruhe, Xavier Sabata commençait en 2004 une carrière de contreténor. Quatre ans plus tard, il nous était donné de l’apprécier dans Vivaldi [lire notre chronique du 11 octobre 2008]. Depuis, son art n’aura cessé de grandir et de convaincre, dans le premier baroque [lire notre critique du DVD La Didone] comme dans un répertoire plus tardif [lire notre chronique du 27 mai 2011] – plutôt que du tableau de chasse, l’évocation de ces articles vaut pour ce qu’elle révèle l’avis de trois plumes différentes qui, sans concertation, se rejoignent pour saluer l’artiste.
Alors que vient de paraître un nouvel enregistrement discographique de Tamerlano où il campe avantageusement le rôle-titre, Xavier Sabata fait voyager son récital dans la peau d’Orlando, celui d’Händel (1733), bien sûr, mais aussi celui de Vivaldi (1717). Pour ce faire, il est accompagné par l’ensemble Vespres d’Arnadi que Dani Espasa dirige du clavecin. Les instrumentistes amorcent la fête par l’Ouverture de l’opus händélien qu’étonnamment ils jouent à sept, ce qui aurait pu s’avérer trop léger, n’était l’acoustique favorable du lieu. Et dès le récitatif suivant s’impose l’exemplaire précision du chanteur qui, dans l’air Non fu già men forte Alcide, arbore un timbre onctueux et une dynamique idéalement menée. Une ornementation discrète s’insère bientôt dans un legato confortable. De l’Acte 2 d’Ariodante il live ensuite Se l’inganno sortisce felice (Polinesso), parfaitement venimeux. Laissant à d’autres la manie de la rodomontade suraigüe, Sabata convoque pour conclure un baryton méphitique, nettement plus approprié à ce sombre personnage.
Retour au récit principal du Roland furieux avec Già l’ebro mio ciglio qui fait goûter une exquise suavité vocale, puis le très tonique Cielo! Se tu il consenti qui impose les qualités opposées. À l’issue de cette première partie, l’ornementation incisive mais jamais heurtée, la souplesse de la vocalise et l’évidence de la respiration prouve l’excellence belcantiste de Xavier Sabata. On le retrouve dans l’égarement extrême d’Ah! Stigie larve dont il explore superbement l’enchaînement des humeurs, à travers la lumière de l’espoir et le sensible lamento qu’il chante souverainement détendu. L’éventail des passions contamine Sorgi l’irato nembro, empruntant cette fois à Vivaldi (Orlando furioso). Cette infidélité n’est que passagère, puisque le Grand Saxon revient avec un Verdi allori sempre unito d’une tendresse indicible. À ce dépouillement succède le redoutable Fammi combattere, musclé, voire robuste, que le public salue avec ferveur.
Deux textes fondateurs ont fait le réservoir des librettistes, des ancestrales opere da rappresentazione aux premiers pas du romantisme : Roland furieux de l’Arioste et La Jérusalem délivrée du Tasse. En choisissant le fameux Cara sposa de Rinaldo (Händel, 1711), Xavier Sabata illustre cette réalité. Outre qu’il y semble posséder un souffle inépuisable, il livre cette aria avec un ineffable naturel. Et sans doute parce que la caresse en fut si convaincante, l’on découvre des cieux rendus cléments en quittant l’église.
BB