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Chroniques
Vanessa
opéra de Samuel Barber
En janvier 1958, le Met’ créait Vanessa, opéra en quatre actes commandé à Samuel Barber : l’une des très rares fois où la maison se tournait vers un compositeur compositeur étatsunien – qui avait été remarqué à Salzbourg dans les mois précédents. Avec un bel enregistrement effectué par les créateurs des rôles et Dimitri Mitropoulos, le chef de la première, l’Europe n’eut pendant longtemps qu’une approche désincarnée de l’œuvre. Barber restait l’auteur de Knoxville, immortalisé par Leontyne Price au disque, et surtout de l’Adagio pour orchestre à cordes (en fait, un mouvement de son Quatuor Op.11) que tout le monde connaît, parfois même sans le savoir. Le continent attendrait octobre 2000 pour une création. C’était à l’Opéra de Metz, dans une mise en scène de Danielle Ory, avec une distribution plutôt bien choisie. On se souvient de Lisa Houben dans le rôle-titre et du généreux docteur d’Éric Martin-Bonnet. Quelques mois plus tard, l’Opéra de Monte-Carlo proposait sa production, affichant en vedette Kiri Te Kanawa. L’Opéra national du Rhin reçoit aujourd’hui ce spectacle.
La mise en scène de John Cox s’articule autour d’un escalier blanc, dans un intérieur flottant comme un îlot au centre d’un espace abstrait. D’emblée le dispositif plonge dans le vif du sujet : Vanessa, qui attend le retour de son amoureux d’il y a vingt ans, veille sur sa vieille baronne de mère qui ne daigne plus lui adresser la parole, en compagnie d’Erika, jeune nièce que congèle une situation tendue car sans avenir dans un château coupé du monde. La lumière de Paul Pyant contribue à créer le sentiment que tout est faux, hormis la souffrance des trois femmes – sorte de comédie, comme de ses drames Tchekhov le disait, avec les ingrédients et archétypes du théâtre fin de siècle, russe ou scandinave.
Si Danielle Ory situait plus catégoriquement l’action dans un pays balte, ici, l’on hésite... Peut-être la Courlande, en effet, mais aussi un peu de Suède, de Norvège, de Pologne avec un je-ne-sais-quoi des Balkans associé à un presque-rien russe : bref, Strindberg, Ibsen, Tchekhov, mâtinés de cette sorte d’humour terrible de Kierkegaard, réactualisé par l’œil mécanique et sans pitié de Bergman.
Drôle de cocktail, dira-t-on, qu’épice le travail remarquable des chanteurs.
Lucy Schaufer est une Erika attachante dont l’émission vocale superbement maîtrisée sollicite la bienveillance à l’égard du personnage. La Vanessa au son opulent de Brenda Harris emporte les suffrages, bien qu’accusant un copieux vibrato. Enfin, Viorica Cortez campe une Baronne effrayante, complètement ravagée et perverse, digne des héroïnes de Tennessee Williams et d’Edward Albee. Seul le ténor David Maxwell Anderson paraît trop léger, en tout cas hors d’un équilibre général possible : un plateau idéal nécessitait une voix plus présente, un timbre plus personnel. La prestation de Jonathan Veira en Docteur reste honorable, bien que sa mélodie d’ivrogne – Barber s’est largement inspiré de la Valse Op.1 de Mischa Levitzki (1898-1941), ce dernier ayant lui-même puisé dans le folklore ukrainien – ait révélé un personnage grossier, ce qui est mal comprendre l’ouvrage et la place salutaire qu’y occupe le rôle.
Vanessa se joue encore les 10 et 12 mai à Strasbourg, les 16 et 18 à la Filature de Mulhouse, avec en fosse, dirigé par Steuart Bedford, un Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui brille d’un lyrisme virtuose dans cette partition héritière de Strauss et de Mahler (qui lorgne du côté de Stravinsky dans l’utilisation des instruments à vent).
BB