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Chroniques
une ouverture d’une stimulante vitalité
Luca Francesconi à l’honneur
Les années se suivent et ne se ressemblent pas, est-on tenté de dire à propos de la nouvelle édition du festival strasbourgeois. Outre le suivi d’encore jeunes compositeurs distinguables comme familiers de la manifestation – Bruno Mantovani, par exemple, avec quatre opus, mais aussi Christophe Bertrand, etc. –, le ou les portrait(s) des maîtres – Luca Francesconi, cette année, croisant une forte présence Wolfgang Rihm –, Musica 2009 invite à la découverte, avec les désormais traditionnels Samedis de la jeune création s’associant la SACEM, comme en programmant deux premières françaises signées Johannes Maria Staud, Autrichien né la même année que l’ici premier nommé et dont l’œuvre est encore mal connue de ce coté du Rhin.
Avec un premier week-end tous azimuts, le festival dynamise sa logique de concerts, ce qui n’est pas si simple qu’on veut bien le croire. Ainsi de son investissement de différents lieux, qui, pour ne pas toujours présenter les conditions acoustiques idéales, prend sainement possession de la ville, impliquant tout un chacun dans un rendez-vous passionnant ; ainsi de ses échanges frontaliers, qu’il s’agisse de s’inviter dans d’autres musiques (concerts jazz de Cecil Taylor et de Steve Coleman), d’autres disciplines (avec le théâtre dit musical, bien sûr, mais aussi, moins classiquement en flirtant avec les arts de la rue) ou sous les plafonds d’à côté (avec Drei Frauen de Rihm donné à Bâle).
Qui dit mieux ?pourrait bien résumer ces deux jours à l’infatigable vitalité. D’abord ce qui semble maintenant aller de soi : deux concerts avec les prestigieuses formations voisines – Philharmonie de Freiburg et SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg –, un récital solo (Jean-Guihen Queyras), le premier tome des Samedis évoqués plus haut, cette fois introduits par un café-rencontre, et la première représentation en France de l’opéra de Giorgio Battistelli, Richard III, dans la production de l’Opéra des Flandres, celle de la création en 2005. Ce qui sort des sentiers battus, ensuite : un riche après-midi portes-ouvertes à la Cité de la Musique et de la Danse (dans le cadre des Journées du Patrimoine) où les musiciens du Conservatoire du Strasbourg, les ensembles Ictus, Coriolys, Accroche Note ainsi que plusieurs solistes donnent dix-huit concerts en continu. Enfin, ce qui décoiffe les habitus : Fresco, œuvre de Luca Francesconi conçue en 2007 pour cinq orchestres d’harmonie partis en cortèges de divers points de la ville pour se rejoindre en son cœur – ici, la place de Cathédrale.
À 15h, samedi [photo], cinq formations de vents formées des musiciens de Dauendorf, Drusenheim, Entsheim, Hœnsheim, Hochfelden et Rosheim, s’engagent depuis la rue du Dôme et les places Chaine d’Or, Corbeau, Kléber et Marché Gaillot, sonnant chacune leur répertoire propre en menant peu à peu les passants devant le parvis de Notre-Dame. Près d’une demi-heure plus tard, ces fanfares se figent en un son prolongé, sorte d’immense cluster, et abordent la place. Devant le grand portail, un chef juché sur un podium donne le départ de Fresco, un quart d’heure d’une musique foisonnante, sorte de fête étrange et fascinante qui rassemble un public parfois venu tout exprès, souvent involontaire, se trouvant tout simplement là, qui soudain partage la musique d’aujourd’hui au-delà des lieux où l’on sait la trouver. De fait, tant par sa dimension de spectacle que par le pouvoir qu’elle a de convoquer les passants, cette musique, en rompant rites et distances, s’affirme plus qu’aucune autre, dans la totalité de sa conception, contemporaine. D’un geste, le chef fait se retourner les cinq groupes qui s’éloignent alors en une joyeuse cacophonie d’hymnes nationaux qui fait sourire les adultes et laisse charmés, parfois bouche bée, les petits.
La veille, quoiqu’en la Halle des sports de l’Université plutôt qu’en une salle destinée au concert, Musica s’inaugurait plus sagement. L’excellent SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg s’y lançait dans Three Illusions d’Elliott Carter (2004), sous la direction salutairement précise de Sylvain Cambreling, lui imposant cependant une regrettable raideur et une maladroite crudité de sonorité. Hommage à Berio, Rest de Francesconi, en création française, est un concerto pour violoncelle et orchestre qui, se gardant de toute citation du maître, ravit l’écoute en un parfum familier, un je-ne-sais-quoi très proche du défunt. D’une énergie indicible, la facture captive sans jamais séduire, magnifiquement servie par l’archet de Jean-Guihen Queyras. Dans SOLO de Berio, Cambreling réalise un équilibre nettement plus satisfaisant qu’en début de soirée, avançant complice dans la partition avec Frederic Belli, très jeune et plus qu’efficace trombone solo de la formation allemande. Pour finir, l’imposant Cobalt, Scarlet – Two Colours of Dawn de Luca Francesconi, vaste opus orchestral infiniment travaillé, puissamment ciselé dans une masse des plus denses, ruche effervescente au souffle musclé, couronnait cette ouverture.
BB