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Chroniques
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner
Après les velléités modernistes de la mise en scène des Meistersinger von Nürnberg par Claus Guth, la saison passée, le Liceu propose une lecture plus traditionnelle d'un ouvrage de Wagner avec ce Tristan und Isolde créé à Los Angeles en décembre 1987. L'intérêt de cette production importée de la lointaine Californie (et qui tourna sur des scènes aussi prestigieuses que le Lyric Opera de Chicago ou le Teatro Regio de Turin) ne réside pas tant dans le travail plutôt discret, au demeurant, de Thor Steingraber, mais bien dans les décors et les costumes imaginés par le peintre et scénographe anglais David Hockney.
C'est une grande chance que de voir cette formidable réalisation dans laquelle Hockney mélange, avec un bonheur certain, des décors abstraits aux vives couleurs et une imagerie médiévale naïve, le tout intégré dans des perspectives audacieuses. Ses dispositifs scéniques prennent vie grâce aux éclairages cinématographiques de Diane Schuler, particulièrement saisissants dans la scène de la forêt (Acte II) où de sombres et inquiétantes ombres générées par des arbres stylisés laissent peu à peu place à des teintes bleutées, alors qu'au même moment l'attente angoissée d'Isolde se calme et qu'avec fièvre elle retrouve Tristan. Nous serons beaucoup plus circonspects quant au travail de Steingraber avec, en cause, une direction d'acteurs pour le moins basique et avare d'idées, les chanteurs étant, du coup, souvent livrés à eux-mêmes. Il en résulte un statisme généralisé, notamment durant le premier acte.
La direction musicale de Sebastian Weigle révèle ses subtilités au fur et à mesure de la représentation. Certainement plombé par le statisme scénique évoqué plus haut, l'orchestre souffre, au début, d'une évidente carence de tension. Dès le deuxième acte, cependant, Weigle imprime à son instrument une impulsion nouvelle, tel le superbe frémissement qu'il obtient des cordes renvoyant à la fébrile impatience d'Isolde. Attentif au relief de chaque crescendo et à l'expressivité de tout phrasé, le chef allemand livre dès lors une battue d'un lyrisme échevelé, pour finalement imposer, dans la mort d'Isolde, une opulence à laquelle il est difficile de résister.
C'est avec grand plaisir que nous retrouvons le soprano américain Deborah Voigt dans le rôle de la princesse irlandaise, trois ans après sa formidable Maddalena di Coigny ici-même. Si la voix accuse désormais un léger vibrato, elle n'a, en revanche, rien perdu de son timbre riche et chaud. Les aigus émergent sans peine au-dessus de l'orchestre wagnérien, avec une puissance et une précision qui montrent que n'est pas révolu le temps des grandes Isolde. Elle arrive au Liebestod – cela mérite qu'on le souligne – sans le moindre signe de fatigue. Grand habitué du rôle de Tristan qu'il a chanté sur les plus grandes scènes,Peter Seiffert en possède aussi bien le lyrisme que l'éclat. Sa diction est exemplaire, il est doté d'une intelligence musicale inouïe et affirme bien, autant physiquement que dramatiquement, la stature requise. Mis à part quelques tensions dans les suraigus de l'éprouvant monologue du troisième acte, le ténor allemand fait preuve d'une formidable vaillance, se montrant par ailleurs bouleversant dans le délire extatique qui s'empare du héros au moment des retrouvailles avec Isolde.
Le mezzo bavarois Michaela Schuster se révèle une solide Brangäne. Bien timbrée, la voix fait montre d’une puissance et d’une projection impressionnantes. Comme à son habitude, Bo Skovhus incarne un Kurwenal bouleversant d'humanité. Son jeu expressif et son chant racé en font tout simplement un Kurwenal exceptionnel. Le roi Marke est confié à la basse coréenne Kwangchul Youn dont l'intense monologue du II est sans nul doute le moment le plus fort de la soirée. On ne sait où donner de l'oreille et qu'admirer le plus chez ce chanteur : la musicalité profonde, la noblesse des accents, la clarté de la diction ou le prodigieux phrasé, digne des plus grands Liedersinger. Dans les rôles secondaires, Norbert Ernst est un Melot fort correct, Manel Esteve Madrid un Timonier convaincant et Francisco Vas un Berger de bonne tenue.
Une affiche qui frise l'idéal d’aujourd'hui et, pour des spectateurs conquis et heureux à en juger l'ovation qu'ils réservent à l'ensemble des chanteurs aux saluts, une grande soirée lyrique.
EA