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Chroniques
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner
Assurément, le printemps français ne saurait-être wagnérien, loin s’en faut ! Alors que nous assistions hier à la première du dernier épisode du Ring à l’Opéra Bastille [lire notre chronique], dans une production foisonnante d’idées toutes mauvaises ou à peu près, nous découvrons ce soir à Lyon un Tristan sans idée aucune ; de fait, à ne rien faire l’on ne risque pas la maladresse, pourrait-on en conclure. Déposée sur une scénographie joliment éclairée (Albert Faura), cette absence de mise en scène n’est pas un obstacle au bon déroulement de l’œuvre, s’agissant de l’opus le plus immobiliste de l’auteur, dont souvent l’on utilisa d’ailleurs l’essentielle inertie élevée en système.
De fait, Tristan und Isolde aurait tout aussi bien pu faire l’économie de la contribution de La Fura dels Baus grâce à une version de concert plus avantageusement concentrée. Le risque, pourtant, aurait pu s’avérer dangereux, tant la distribution accuse de déséquilibre et l’orchestre de fragilité. À commencer par la fosse, la direction de Kirill Petrenko s’affirme flamboyante, engagée, habitée même, en tout point passionnante, fluide, sensible, et d’autant méritante que le matériel qu’on lui a confié n’est guère à la hauteur des exigences de la partition, avec des cordes rêches et approximatives, et, surtout, des bois hasardeux, pour ne pas dire aléatoires – « nid de soleil dans le gris de l’aube » (Handke), ainsi attendions-nous la pastoral de l’Acte III ; nous l’attendons encore… Entre ce Tristan et Götterdämmerung la veille, la situation s’inverse : tandis qu’à la tête d’un orchestre de très grande tenue Philippe Jordan n’est pas parvenu à imposer une interprétation véritable, Petrenko fait merveille avec un contingent moins luxueux, mais volontiers perfectible, semble-t-il. La trame dramatique va de soi, la symphonie va son cours, rendant alors presque consistante la magie du conte.
Il y a les voix…
Aux honorables Pilote de Laurent Laberdesque et Matelot (aussi le Berger) de Viktor Antipenko répond le ferme Melot de Nabil Suliman. Le plaisir est grand à écouter Christof Fischesser qui prête au roi Marke une véritable mer vocale, un grain de caressante autorité, un phrasé ample et impérieux. Mais voilà tout ce que l’on goûtera des hommes de ce plateau, malheureusement. Jochen Schmeckenbecher livre un Kurwenal falot, souvent engorgé, quand il n’est pas confidentiel, tandis que le Tristan de Clifton Forbis n’a gardé de sa superbe que les paroles des captives du premier acte : le souffle est court, la phrase hachée, le timbre disgracieux, le placement de l’émission inégal au point d’expectorer l’aigu, d’embrouiller le médium et de susurrer le grave. S’ensuit un héros qui ne retient guère l’attention, voire qui ennuie, lorsqu’il ne maltraite pas l’écoute. La séduisante pâte vocale, et la couleur généreuse, surtout dans le grave, d’Ann Petersen favorise une Isolde qui, de prime abord, convainc ; mais de prime abord seulement, la furie du I demeurant ce qui lui convient le mieux, nuancer n’étant vraisemblablement pas de ses habitudes. Durant tout la représentation, le chant reste dur, en violence systématique, jusqu’à ce qu’enfin le Liebestod renoue avec la souplesse, mais en concluant par un « Höchste Lust » détimbré. Alors ? Oui, vous comptez juste : un rôle encore dont nous ne parlions pas, celui de Brangäne, somptueusement servi par l’attachant mezzo de la Georgienne Stella Grigorian qui se révèle la grande voix de cette représentation.
BB