Recherche
Chroniques
Tragedy of a Friendship
spectacle de Jan Fabre
« Nous devons réintroduire des cérémonies. Des rites spéciaux. De nouvelles initiations » écrit Jan Fabre, le 14 février 1978 (Journal de nuit, L’Arche). Auteur de performances dans ces années-là (dessins à base de cendres de billets de banque), il s’est fait connaître depuis comme créateur de théâtre, auteur (C’est du théâtre comme c’était à espérer et à prévoir) et plasticien (L’ange de la métamorphose, au Louvre en 2008). En attendant Mount Olympus, un projet scénique s’étalant sur vingt-quatre heures prévu pour 2015, le Théâtre de la Ville – qui a présenté et coproduit plus d’une quinzaine de spectacles de l’Anversois depuis 1990 – propose de découvrir Tragedy of a Friendship. Invité par le Vlaamse Opera à rendre hommage à Richard Wagner dont on fête la naissance voilà deux cents ans, l’artiste y évoque la relation houleuse avec le philosophe Friedrich Nietzsche, en compagnie du compositeur Moritz Eggert (ah, ces trémolos d’harmonium…) et de l’écrivain Stefan Hertmans.
« Il n’est probablement pas exagéré d’affirmer, confie ce dernier, que Nietzsche et Wagner étaient l’un pour l’autre comme un alter ego ; ils en souffraient aussi, car ils étaient incapables d’accepter cette autre facette d’eux-mêmes. Cela veut dire que quelque part, Nietzsche portait un Wagner en lui – ou qu’il le voulait (il composait de la musique) – et que d’une certaine façon, Wagner – auteur de nombreux textes de critique culturelle – se croyait un Nietzsche. […] La tragédie de l’artiste n’est-elle pas qu’il se débat avec le penseur qu’il porte en lui ? »
Durant plus de trois heures et quart sans entracte, ce spectacle évoque chacun des treize opéras du Saxon – de Die Feen (écrit en 1833) à Parsifal (créé en 1882) –, avec des références plus ou moins évidentes (cygne, épée, etc.). Devant une toile en fond de scène où apparaissent des visages au ralenti (chefs d’orchestre, extraits du Ring au cinéma, etc.) et encadrés par deux cloches de verre de taille humaine qui servent d’écran à d’agréables vidéos abstraites de Luca Brinchi et Roberta Zanardo, mais aussi d’habitacle, une dizaine de performeurs (danseurs et acteurs), ainsi que le soprano Lies Vandewege et le ténor Hans Peter Janssens, portent une vision artistique pour le moins dérangeante, qui fait fuir les spectateurs par dizaines.
Une première cause de malaise vient du sadisme exercé à l’encontre des femmes (étranglement, viol, coupure à l’entrejambe) qui, sans la caution d’une quelconque dénonciation sociopolitique, relève juste de l’effet gore. Vient ensuite l’exploitation de maigres filons à la barre à mine qui transforme chaque idée un peu légère ou drôle en un tableau « lourd » et « grotesque » – pour reprendre les termes d’une spectatrice en éveil –, devant lequel on est gêné à l’instar d’une « impro » sans génie qui s’étire. Enfin, évoquons l’ennui ressenti face à une succession de tableaux formatés (grosso modo une saynète parlée-dansée puis chantée) et paresseux (une sirène aux jambes entourées de papier aluminium sous un ciel de poissons pour Der fliegende Höllander, un long duel à l’épée style Excalibur pour Lohengrin, etc.).
Au final, regrettant que Wagner ait écrit tant d’opéras, on est tellement ruiné de fatigue par ces cris de douleur, ces provocations puériles (des collègues évoquent une masturbation au soir de la première) que l’on perd presque la force de se révolter contre un artiste qui conditionne son public à accepter l’inacceptable : une soirée de théâtre aussi clinquante, aussi vide qu’un blockbuster pour ados.
LB